Un cours de citoyenneté, oui, mais lequel ?

Un cours de citoyenneté, oui, mais lequel ?

 

L’idée est dans l’air du temps : il faut redonner à nos jeunes le sens du civisme. Afin d’y parvenir, nos ministres s’engagent à remplacer une heure de cours de religion par une heure de citoyenneté. Personnellement, il me semble que, pour réussir un tel projet, il est avant tout capital d’en définir le but, c’est-à-dire ce qu’on entend par former un citoyen.

Un citoyen, ne serait-ce pas celui qui prend soin de son environnement, de la nature et des hommes qu’il côtoie au sein de la société et du monde, par une qualité d’être qui transpire dans ses moindres actions ?

Si tel est le cas, un citoyen n’est-il pas celui qui a appris à ressentir dans ses tripes que l’autre vit des joies, des peines, des peurs semblables aux siennes ? Ne serait-ce pas celui qui sait au plus profond de lui que l’autre, croyant ou non, est habité comme lui par une dimension qui le dépasse et le relie à tous et à l’univers tout entier ?

Ne serait-ce pas celui dont le sens de l’existence repose spontanément sur l’envie d’être utile au monde, à la planète ? Celui qui s’émerveille de l’harmonie de l’univers et ne peut donc faire autrement que d’en prendre soin ? Celui qui devine la beauté qui sommeille en chaque être et ne peut vouloir autre chose que son bien ?

Mais comment un être humain peut-il avoir accès à cet état de reconnaissance et de responsabilité s’il n’a pas d’abord appris à se re-connaître lui-même, à retrouver le goût de son essence et de son potentiel, s’il n’a pas appris à s’aimer et à prendre soin de lui de manière responsable ?

Voilà bien une démarche qui s’adresse à l’être dans sa globalité, à son corps, ses affects et son intériorité, une démarche qui en appelle non seulement au cerveau gauche, mais surtout à l’intelligence émotionnelle et affective. En effet, nous avons appris à nos dépens combien un jeune dit intelligent, à la lumière du mental, peut manifester une totale absence d’empathie envers ses semblables et être à l’origine des horreurs les plus inconcevables. Il est tout à fait possible de réussir brillamment ses études et de devenir un fou meurtrier.

Alors, un cours de citoyenneté pour créer des citoyens soucieux du bien de tous ? Peut-être, mais encore faut-il s’en donner les moyens humains, en comprenant que cette qualité, innée sans doute et perdue, entre autres, par une école qui ressemble à la société qu’elle réprouve, c’est-à-dire basée sur des valeurs essentiellement masculines de rapidité et de compétition plutôt que d’écoute et de coopération, se retrouve et se nourrit par l’expérience intérieure du respect de ses émotions, de ses besoins et de sa nature profonde. Comme le disent depuis si longtemps tous nos penseurs et le rappelle si bien Thomas d’Ansembourg, « nous n’allons pas, par miracle, respecter l’humain et la nature au-dehors si nous n’avons pas appris à respecter l’humain et la nature au-dedans. »

Sans doute, donner des cours de religion comme cela se faisait auparavant n’a plus guère de sens aujourd’hui. Mais combien de professeurs enseignent-ils encore une religion bien précise à laquelle se conformer ? Dans l’enseignement catholique, il me semble que les objectifs visent avant tout à proposer aux élèves des pistes, tant spirituelles que psychologiques et philosophiques, pour qu’ils trouvent leurs propres réponses. Il serait dommage en tout cas, de jeter la dimension intérieure inhérente à chaque être humain, même athée, avec l’eau de l’enveloppe qu’elle a prise dans les différentes religions.

D’ailleurs, beaucoup de nos voisins français nous envient ces cours que nous appelons encore « cours de religion ». Et lorsque nous nous interrogeons sur la nécessité de donner des cours de citoyenneté et de philosophie, nous pouvons nous poser la question : où voyons-nous que les jeunes français ont acquis davantage de qualités humaines que les nôtres, eux qui reçoivent des cours de philo ?

Il est urgent de comprendre que notre école ne formera des citoyens que si elle accepte de se remettre fondamentalement en question, si elle s’articule autrement et redonne une place prépondérante à la joie, l’enthousiasme, la douceur, l’écoute, la reliance et la coopération. Ce n’est pas un cours qui fera la différence, c’est tout un système qu’il faut réformer de fond en comble. Avons-nous besoin de nouveaux « Charlie Hebdo ? Avons-nous besoin que ça pète pour en prendre conscience ?

En colère

Je suis en colère contre le système scolaire qui déresponsabilise les enfants en les plaçant dans une relation frontale. Ils se vivent au combat qui les oppose à leurs professeurs, donneurs de notes, plutôt qu’au sein d’un processus qui peut les aider à se rapprocher de leur potentiel et de leur projet de vie.En fin de compte, la plupart des jeunes finissent par viser le minimum requis en oubliant de s’interroger sur la valeur du diplôme qu’ils sont en train de se construire. La plupart des jeunes se sabotent inconsciemment…

Je suis en colère contre le système scolaire qui paralyse la créativité et le dynamisme des professeurs, en leur donnant des balises tellement précises qu’ils n’ont plus d’autre choix que d’avancer le nez sur le guidon et sur leur sacro-saint programme.Les enseignants n’ont pas le temps de s’interroger sur le sens de l’éducation, sur les fondements de leur pratique, pas le temps d’écouter leurs élèves comme ils le souhaiteraient, pas le temps de partager un enthousiasme commun, pas le temps… et bien vite, plus d’énergie…Ils sortent aigris de ce rapport de force dans lequel ils deviennent bourreaux malgré eux.Beaucoup de professeurs sortent usés de cette aventure et attendent leur retraite avec impatience…

Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont tellement las du comportement de leurs élèves qu’ils déploient le peu d’énergie qui leur reste à rechercher le cadre disciplinaire le plus adéquat pour le travail et pour l’étude. Cette quête effrénée d’une solution extérieure, souvent punitive, qui tente par tous les moyens de canaliser l’attention des jeunes,[1]en renforçant les murs de leur école/prison, me fait penser à de nombreuses solutions générées par la peur de maints gouvernants et spécialement de l’extrême droite : plutôt que de prendre conscience que des jeunes se réfugient dans la délinquance ou le radicalisme parce qu’on ne leur a pas donné la possibilité de se forger une identité positive et reconnue par tous, plutôt que de travailler en amont sur l’accueil, et surtout sur l’écoute des véritables besoins d’enfants aux richesses multiples, les états se barricadent de plus en plus en se militarisant.

Et si nous prenions de l’altitude ? Si nous prenions conscience que les enfants du XXIe siècle ne sont plus ceux d’antan ? Si nous acceptions de les laisser nous dire qui ils sont aujourd’hui, le besoin qu’ils ont d’évoluer de façon horizontale, côte à côte, en synergie. Si nous nous rendions accessibles au désir qu’ils ont de nous sentir partenaires de leurs projets personnels, projets qui, seuls, ont le pouvoir de donner du sens à une démarche d’apprentissage ?

Se laisser interpeller par eux, c’est accepter de lâcher prise. D’où vient que nous soyons si persuadés qu’il leur est nécessaire de connaître toutes les matières enseignées à l’école, qui plus est, sous un angle bien précis ?D’où nous attribuons-nous le pouvoir de décider qu’un jeune a acquis ou non les bases nécessaires pour s’envoler de ses propres ailes ?Sommes-nous au courant des avancées de « la neurobiologie moderne (qui) a démontré que (…) le cerveau se développe là où nous l’utilisons avec enthousiasme ! »[2]

Redonner du sens, écouter nos enfants nous parler de leurs émotions, de leurs rêves, leur rendre leur pouvoir sur leur vie en les encourageant à écouter la transcendance de leur Désir profond[3], les aider à canaliser leurs forces vers l’expression toujours plus concrète de leur potentiel, cultiver avec eux le plaisir d’évoluer ensemble, voilà quelques pistes pour réformer l’école, si l’école peut avoir encore une quelconque utilité.

Permettons à chaque jeune d’avancer vers une vision toujours plus claire de son potentiel et de ses rêves et ce, en mettant en place des outils concrets de connaissance de soi et de confrontation à la réalité dès les premières années.[4]Supprimons le caractère sanctionnant des évaluations pour ne leur laisser qu’un rôle d’information afin que chacun s’y mesure en fonction de ses projets.Professeurs et élèves, retrouvons l’enthousiasme du jeu si propice à l’apprentissage !

Et sortons enfin de l’idée qu’il faut souffrir pour apprendre ! Ce sont la joie et la complicité qui nous donnent l’envie de nous dépasser sans cesse, pas vrai ?

[1] Je visualise un ballon plein de trous que l’on essayerait de colmater par tous les moyens. Dès qu’un orifice est rebouché, d’autres apparaissent à d’autres endroits.

[2] André Stern, Semeurs d’enthousiasme, Manifeste pour une écologie de l’enfance, L’Instant présent, 2014

[3] Propos inspirés par Denis Marquet, Nos enfants sont des merveilles, Les clés du bonheur d’éduquer, Nil, 2012

[4] Voir mon article intitulé « Des talents au service de tous »

André Stern, Semeurs d’enthousiasme

myspace.com
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André Stern, Semeurs d’enthousiasme, Manifeste pour une écologie de l’enfance, L’Instant présent, 2014, 27 pages. (Extraits)

 

En éducation, l’air frais nous vient de la science, de l’observation des incroyables dispositions de l’enfant et de l’attitude respectueuse qui, immanquablement, en résulte.

(…)La neurobiologie moderne a démontré que le cerveau se développe en fonction de l’usage que l’on en fait ! (…) Le cerveau se développe là où nous l’utilisons avec enthousiasme ! (…)

En observant les petits enfants, on constate qu’ils éprouvent une poussée d’enthousiasme toutes les 3 minutes. Chez l’adulte, une telle poussée ne se vit en moyenne que de 2 à 3 fois par an… Pourquoi personne ne s’est-t-il demandé ce qu’il adviendrait d’un enfant qu’on laisserait toute sa vie dans sont état d’enthousiasme naïf ? (…) Il y a un génie potentiel en chaque enfant. (…) Pour y parvenir, il nous faut, absolument, nous libérer des hiérarchies entre les métiers et entre les matières. (…)

Ce n’est pas par hasard que la nature nous a équipés de la capacité de jouer : il s’agit du plus surprenant, du plus efficace, du plus adapté et du plus heureux des dispositifs de développement cérébral. (…) Pour lui (l’enfant), jouer et apprendre sont de parfaits synonymes.

(…) L’enfant ne connaît qu’union, entente et solidarité. (…) L’enfant ne survivrait pas sans la solidarité. (…) C’est son unique expérience.

(…) L’enfant, dès 12 mois, nous imite !

(…) On a longtemps cru qu’il fallait rendre l’enfant autonome en « coupant le cordon », en l’incitant à « quitter le nid ». Dorénavant, on sait que c’est l’inverse : c’est d’un port d’attache dont il aura, infailliblement, éprouvé la fiabilité, que l’enfant partira, un jour (le sien) sans crainte, à l’aventure.

(…) Mettre l’enfant à l’écart du monde, c’est contrarier sa disposition spontanée à aller « dans le vaste monde ».

(…) Alors qu’ils portent en eux la conscience des synergies nées des différences, ils sont mis en catégories, comparés selon ce qui est comparable, et s’adaptent dès leur plus jeune âge, à la plus grande sapeuse de potentiels jamais rencontrée : la compétition.

(…) On a cru nécessaire de préparer l’enfant à la frustration, afin qu’il y soit résistant. (…) Mais c’est tout l’inverse qui est vrai : lorsque la satisfaction est majoritaire, la frustration n’est qu’anecdotique.

(…) Chaque fois que l’on intervient, même plein de bonne volonté, dans le processus naturel, on fragilise l’enfant, (…) sa confiance en son aptitude à apprendre et à se dépasser lui-même – aptitude pourtant native.

(…) Choisir d’accueillir, sans valorisation, sans dévalorisation, la disposition spontanée de l’enfant est une attitude qui demande à mettre de côté ses propres expériences, ses attentes, ses idées, ses habitudes, ses désirs et ses conditionnements. (…) IL existe une méthode infaillible pour se mettre à l’abri des faux-pas et de ses propres peurs : ne jamais partir de soi, toujours partir de l’enfant. (…) Il ne faut qu’une structure. Faire de tout ce qui assure, de tout ce qui rassure. (…) Les mêmes jeux, les mêmes parcours, indéfiniment, sans que l’adulte zélé ne propose de variations. (…) Si l’enfant joue trop au même jeu, on pense qu’il va s’ennuyer, alors on lui propose le changement. Or, l’ennui découle de l’inconstance, et l’inconstance découle de l’interruption artificielle de la continuité.

 

Françoise Héritier et l’école

lavie.fr
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Entretien avec Françoise Héritier

in Olivier Le Naire, Nos voies d’espérance, Entretiens avec dix grands témoins pour retrouver confiance, Actes Sud, Les liens qui libèrent, 2014

 

p 210 – 211 : Il faut investir massivement dans les crèches et les écoles maternelles, non pour fabriquer des enfants précoces qui sachent lire ou écrire plus tôt que les autres, mais afin qu’ils apprennent dès le plus jeune âge la sociabilité, le bien commun, la vie collective, la tolérance, et puis cette générosité (…) Qu’ils apprennent aussi les différents supports de la communication, qui passent par le geste, le toucher, le rire, le sourire, le regard. Tout cela éviterait de se retrouver dans les impasses que nous connaissons aujourd’hui. Cette ambition suppose de revoir entièrement nos méthodes éducatives, les buts de l’enseignement, la formation des maîtres. Et donc, au préalable, de réfléchir collectivement à la société que nous voulons vraiment, aux valeurs qui nous animent. (…)

Aujourd’hui, nous continuons sur ce vieux savoir alors que les conditions ont changé. Je pense qu’il faudrait, au contraire, promouvoir des systèmes fondés sur les capacités imaginatives des enfants. J’ai été frappée par un article de presse, lu récemment, dans lequel Jamel Debbouze expliquait qu’il a été sauvé par une personne qui, dans sa petite ville, avait monté un atelier d’expression corporelle et d’expression parlée.

(…) Je ne plaide pas pour laisser les enfants décider eux-mêmes, car ce serait une erreur fondamentale de croire que les élèves ont la science infuse ou savent mieux que nous. Non, je ne pense pas ça non plus. Les enfants sont forgés par les parents, les maîtres, les institutions, la culture et les autres. Mais il n’empêche qu’ils sont chacun dotés de qualités et surtout de capacités créatives et imaginatives énormes. Il ne faut pas les brider, voilà tout. Et il ne me semble pas hors de notre portée de prendre cela en considération.

Éveiller l’identité (recettes)

Sous cette catégorie, je compte partager de minuscules réflexes quotidiens afin de compléter la pratique présentée dans mon livre

 

gizmodo.fr
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Éveiller l’identité et la nourrir

 

  • Lorsque nous nous passons le bâton de parole pour traduire nos émotions au début des cours, chacun d’entre nous prononce son prénom. De cette manière, nous percevons régulièrement que nous existons en tant que personne individuelle et que c’est nous qui avons le droit de nous exprimer à ce moment-là. De ce fait, notre expression devient plus responsable, nos paroles ont plus de sens, nous ne pouvons plus dire n’importe quoi.
  • Chaque fois que quelqu’un s’exprime, il est invité à parler « en JE ». Les « ON » sont totalement bannis. Si un élève reprend son vieux réflexe, je le reprends simplement en lui suggérant de redire sa phrase en la commençant par « Je ressens » ou « Je pense »…
  • Nous faisons de temps en temps des petits jeux qui demandent de s’affirmer tour à tour en tant que leader. En voici deux :

Nous sommes debout en cercle. Sur une musique douce, chacun à son tour fait des gestes lents que tout le groupe est invité à reproduire en même temps.

Nous sommes debout en cercle. Chacun à son tour produit des sons à partir de ses mains, de ses pieds, de sa bouche. Ensuite, tout le groupe les répète trois fois.