Pierre Rabhi et les enfants

Sous ce titre, je désire partager avec vous différents regards croisés à propos de l’enseignement. Je les puise la plupart du temps au sein d’articles ou de livres.

Pierre Rabhi in Olivier Le Naire, Nos voies d’espérance, entretiens avec 10 grands témoins pour retrouver confiance, Actes Sud/LLL Les liens qui libèrent, 2014

© Fanny Dion-Pierre Rabhi 60
larevolutiondesgrenouilles.fr

p 125 et 126

Olivier Le Naire : Tout cela suppose une révolution des mentalités, une nouvelle hiérarchie des valeurs. C’est d’abord une question d’éducation ?

Pierre Rabhi : Oui. Nous sommes tous arrivés au monde avec une grande disponibilité d’esprit. Et cet enfant qui est ouvert à tout, on peut en faire un ange ou un monstre. Il accueille les valeurs qu’on lui inculque, bonnes ou mauvaises. Ma fille Sophie, dans son école du hameau des Buis, apprend aux élèves à se montrer d’abord attentifs à l’être humain et non à leur fonction future dans la société. L’enfant doit prendre conscience de ce qu’il est, de qui il est et de la communauté, de l’environnement auxquels il appartient. On lui apprend à lire, à écrire, à compter, et c’est très bien car ce sont des outils dont chacun a besoin. Mais malheureusement, parents et professeurs oublient trop souvent qu’ils s’adressent avant tout à un être humain. Michèle et moi avions pour premier souci, lorsque nos enfants étaient plus jeunes, de les encourager à trouver leur voie et leur vocation propres. Peu importait le métier qu’ils feraient plus tard du moment, bien sûr, qu’ils ne causent de préjudice à personne. L’essentiel est qu’ils soient eux-mêmes, qu’ils soient heureux. La joie n’a pas de prix. Au hameau des Buis, cette oasis dont je vous parlais, les habitants interviennent beaucoup dans l’école, chaque génération enseigne à l’autre, on échange ses expériences. C’est léger, c’est souple et rigoureux en même temps. On y apprend beaucoup aussi de la nature environnante, des animaux qui se trouvent sur place. Maintenant, comme toute société humaine, ce n’est pas la perfection, bien sûr, des améliorations et des progrès restent toujours à faire. Idéaliser et magnifier à l’excès serait un contre-témoignage, l’être humain étant en continuelle évolution.

Olivier Le Naire : La société idéale n’existe pas…

Pierre Rabhi : Non, puisque dans toute organisation, même si les intentions sont très élevées, on n’atteint jamais nos idéaux, bien sûr, mais c’est déjà beaucoup si on y enseigne que chacun a un travail à faire pour se connaître, améliorer sa propre nature. Le premier chantier, c’est moi-même. Pour s’épanouir, il faut d’abord savoir qui l’on est, découvrir ses vraies aspirations. C’est à cette condition qu’un être peut s’accomplir. J’entends par accomplissement le fait de monter petit à petit, d’une façon graduelle, vers quelque chose de lumineux pour que le chemin devienne initiatique. Tout ce qui nous arrive de bon, de moins bon, de douloureux, entre en compte pour nous mener dans la bonne direction. Éduquer, c’est mettre l’enfant sur la voie de sa propre initiation, tout en lui apprenant, évidemment, ce qui est nécessaire à sa vie pratique de tous les jours. Lire, écrire, compter, comme je le disais, mais aussi réapprendre à travailler de ses mains. Aujourd’hui, les enfants vivent de plus en plus avec des écrans. Ils ne sont plus présents à la réalité dans laquelle ils évoluent et se contentent d’un monde virtuel. Leur esprit est barricadé dans une bulle conceptuelle dont ils restent prisonniers. Ils ont désappris à regarder, et ce cloisonnement leur donne un mode de pensée restrictif. Il ne s’agit pas de supprimer les ordinateurs, mais d’en comprendre la limite et le bon usage, car il faut aussi apprendre à produire soi-même des choses tangibles, partir de ce qui est tangible. Si j’enfonce un clou et que je me tape sur les doigts, j’apprends. Je ne suis plus dans un univers qui obéit à tous mes fantasmes, à tout mon imaginaire. Il comporte ses propres lois. Si je veux scier une planche bien droite, il faut que j’apprenne, sinon elle ne sera jamais droite.

(…)Le lieu d’apprentissage idéal, selon moi, ce serait un jardin, un atelier-mais sans machines, du moins au début- et l’école. Le monde conceptuel relié au monde tangible, lui-même relié à la vie, puisque tout cet apprentissage débouche naturellement sur le mystère de la vie.

Devenir le monde de nos rêves

Octobre 2014

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Devenir le monde de mes rêves
L’incarner
Épanouir ma personne sans trêve
Sans juger
Pour m’ouvrir en toute bienveillance
Libérer
Accueillir mes joies et mes souffrances
Les aimer 

 

Soyons le changement
Que nous voulons voir dans le monde[1]
Soyons les artisans
D’une fraternité féconde
Cultivons notre lien
Avec nos racines profondes
Prenons soin de ce bien
Qui nous entraîne dans la ronde
De la Vie

Devenir nos belles utopies
Toi et moi
Découvrir ce qui nous met en vie
Et en joie
Accueillir toutes nos différences
Nos richesses
Pressentir ensemble la présence
En tendresse

Devenir un’planète prospère
Qui respire
Éblouir notre mère la terre
La chérir
Accueillir toutes les existences
Honorer
Découvrir un’nouvelle puissance
Partagée

[1] Citation de Gandhi

7 janvier 2015 : nous ne pouvons plus nous taire !

Face à la barbarie qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo, nous ne pouvons passer sous silence notre responsabilité de citoyens et de professeurs : tout ce qui nous arrive nous ressemble, les deux jeunes qui ont tué froidement les caricaturistes et leurs confrères n’ont fait que répondre en écho à la violence subtile de notre société, dans laquelle l’école constitue un pilier essentiel.

Dans Le Soir d’aujourd’hui, 9 janvier, un travailleur social témoigne : « Le pire est devant nous. (…) Beaucoup dans les quartiers (…) ont une double fragilité, la première nourrissant la seconde : une fragilité économique et une fragilité identitaire. » Lorsque l’identité n’a pas pu se construire au service de la société, elle ne trouve pas d’autre choix que de se retourner contre elle : puisque je n’existe pas positivement à vos yeux, au moins vous me donnerez un nom lorsque je vous ferai du mal. De plus, si je n’ai pas eu l’occasion de développer l’empathie, la capacité à me mettre à la place de l’autre, je n’éprouverai aucune difficulté à commettre des horreurs abominables ni abattre quelqu’un de sang froid.

Combien de drames comme celui-là nous faudra-t-il avant d’accepter de révolutionner l’école de fond en comble ? Combien de victimes innocentes compterons-nous encore avant de donner leur place aux véritables priorités d’une éducation ?

Aujourd’hui, à l’heure où la connaissance se trouve tout entière sur internet, et donc accessible immédiatement à la majorité de nos élèves, quand on sait que les matières sont souvent dépassées au moment où les professeurs les enseignent, il s’avère grandement essentiel de consacrer la majeure partie de notre temps et de l’espace scolaire à ce que j’appelle l’ éveillance, un accompagnement bienveillant qui permette à l’enfant de s’éveiller à son potentiel unique, à son moteur intérieur, tout en lui donnant les moyens de s’ouvrir à l’autre quel qu’il soit, pour agir joyeusement avec lui dans la force renouvelée de synergies chaque fois différentes.

Or que voit-on dans la majorité des classes ? Des bancs alignés les uns derrière les autres où l’on n’aperçoit les camarades que de dos. Dans mes cours où ils sont installés en cercle, certains de mes élèves s’émerveillent de découvrir des personnes qu’ils n’avaient pas remarquées jusqu’alors. Est-ce bien normal ?

Lorsque les jeunes se regardent, lorsqu’on leur donne l’occasion de partager leurs émotions, leurs questionnements, quand l’école n’est plus un lieu de pression où chacun doit tirer tout seul son épingle du jeu mais où l’on cherche ensemble des solutions créatives qui rassemblent, le respect et la douceur s’installent spontanément en même temps que la joie de vivre. C’est ce climat qui favorise l’ouverture à la connaissance.

Alors qu’attendons-nous ?