La créativité

Mihaly Csikszentmihalyi, La Créativité – Psychologie de la découverte et de l’invention, Paris, Robert Laffont, coll. « Réponses », 2006,

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p 17 Nous naissons tous avec deux séries d’instructions contradictoires : une tendance conservatrice qui comprend les instincts d’autopréservation, d’autoaccroissement et d’économie de notre énergie, et une tendance expansive faite des instincts d’exploration, du plaisir de la nouveauté, du risque – la nouveauté qui produit la créativité appartient à cette série. Ces deux programmations nous sont nécessaires. Mais si la première tendance nécessite peu d’encouragements ou d’appuis extérieurs pour motiver nos comportements, la seconde risque de disparaître lorsqu’elle n’est pas entretenue. Si notre curiosité manque d’occasions de s’exercer, si trop d’obstacles encombrent la voie du risque et de l’exploration, la motivation nécessaire pour s’engager dans la créativité finit par s’étioler.

Les héritiers ou comment remettre un jeune debout

UnknownÀ propos du film Les Héritiers réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar, France 2014

Même si j’ai trouvé ce film extrêmement touchant et troublant de justesse, au point que certaines scènes me semblaient tout droit issues de la réalité et non d’une fiction, je ne m’aventurerai pas sur un terrain qui n’est pas le mien et ne me permettrai donc pas une critique cinématographique en bonne et due forme.

Mon propos visera plutôt à souligner les ingrédients qui ont fait de l’expérience relatée une magnifique victoire sur le décrochage scolaire et la violence, souvent plus exacerbés au sein des banlieues, là où de nombreux jeunes et moins jeunes n’arrivent pas à se faire reconnaître dans leurs potentialités originales ni à se rendre utiles à la société.

En les entraînant dans l’aventure du concours national, le professeur, incarné par Ariane Ascaride, a montré à ses élèves à quel point elle leur faisait confiance, à quel point elle savait qu’avec leurs forces singulières, ils étaient capables de relever un défi qui paraissait à leurs yeux insurmontable. Forces singulières s’il en est puisqu’après avoir constaté leur manque de compétences scolaires proprement-dites, elle les a amenés, non à se formater à la voie que l’école leur aurait tracée pour ce genre de démarche, mais à découvrir ce que leur vérité, leur authenticité leur suggérait.

Ce regard bienveillant et qualifiant leur a permis non seulement de développer la foi en eux-mêmes, mais aussi de s’ouvrir à leur créativité et d’inventer une approche toute nouvelle.

L’enseignante a compris également l’importance de ne pas accorder de notes aux élèves pour cette recherche. Lorsque l’on supprime la pression de l’évaluation, qui se base sur des critères extrêmement rigides et sclérosants, lorsqu’il peut sortir du cadre qui le limite à une infime partie de ses richesses personnelles, le jeune peut se laisser aller peu à peu à l’enthousiasme de la gageure, le plaisir inné de la découverte et le bonheur de la construction.

Ouverte à leurs propositions, le professeur accepte également de rester dans l’ombre, au service des jeunes. Elle devient alors une éveilleuse qui, non seulement aime se laisser surprendre par ses élèves mais bien plus les encourage dans leurs initiatives, sans hésiter toutefois à signaler leurs incohérences ni à les aider avec ses forces à elle.

Et bien sûr, le but de l’aventure est collectif et engage tous les élèves volontaires dans une collaboration inédite. Le cadre de vie acquiert alors de la souplesse : on bouge dans la classe, on rapproche les tables en petits groupes, puis en équipes plus importantes selon les nécessités. Peu à peu, les jeunes prennent conscience que leur force réside dans le respect mutuel et la synergie qui naît de leurs échanges. Amenés à œuvrer ensemble, ils finissent par se reconnaître mutuellement et à s’apprécier à leur juste valeur. Quel plaisir lorsque les cœurs vibrent enfin à l’unisson !

Pour que l’école devienne un rempart contre les intégrismes et les folies en tous genres, ne devrions-nous pas nous exercer, nous aussi, professeurs, éducateurs, animateurs et parents, à retenir les leçons de cette belle histoire ?

 

Enrayer le chômage en relançant… la créativité

Enrayer le chômage des jeunes en relançant … leur créativité !

Enrayer le chômage des jeunes en relançant l’économie… Nos politiciens et nos économistes seraient-ils à ce point naïfs pour croire à leurs démonstrations et formules ? Et nos journalistes pour les relayer ?

Ceux qui nous dirigent ont-ils donc tellement le nez sur le guidon qu’ils ne sont même plus capables de noter les changements irréversibles de notre société ?

Sans doute sont-ils à l’image de chacun d’entre nous, aveuglés que nous sommes par le confort de notre routine, par le confort de notre inconfort, par la peur aussi de l’inconnu, du nouveau. Aussi réglons-nous nos problèmes individuels ou sociétaux comme nous l’avons toujours fait. Tant pis si nous oscillons sans cesse entre deux maux extrêmes !

Qui croit encore qu’avec les technologies actuelles, qui se substituent à la main d’œuvre qualifiée ou non, nous pourrons un jour redonner du travail à tout le monde ?

Et pourtant, si l’on sort de l’idée du métier tel que nous le concevons aujourd’hui, des solutions existent, mais nous n’aurons accès à elles que dans une société qui accepte de se métamorphoser, d’envisager, par exemple, le travail autrement, à une place sans doute plus juste pour notre temps, ainsi que la nécessité de réinventer une nouvelle solidarité entre les personnes.

Lors de crises totalement bouleversantes, nous perdons nos points de repères et sommes précipités dans un univers totalement inconnu. Dans cet état, après un moment d’angoisse et de flottement, nous finissons par trouver des solutions inédites auxquelles nous n’aurions jamais pu penser auparavant et qui transforment notre existence. C’est parce qu’elles ont la faculté de nous propulser hors de notre formatage habituel qu’elles peuvent nous inspirer et donc, passé le moment de souffrance, se révéler éminemment précieuses.

Sans doute l’être humain a-t-il besoin d’être éveillé régulièrement pour évoluer au même rythme que la Vie, sans doute a-t-il besoin de crises  qui agissent sur lui comme le kyôsaku, le bâton d’éveil du maître zen ? Mais on peut toutefois imaginer qu’elles seraient moins nécessaires si nous évitions de casser chez nos enfants le lien avec leur fluidité et leur créativité naturelles, en évitant de les formater comme nous le faisons aujourd’hui à l’école. N’est-il pas lamentable de constater qu’arrivés à l’adolescence, la plupart d’entre eux ont perdu le sens de l’initiative, l’imagination créative, accrochés qu’ils sont – dans leur rébellion, comme dans leur statut d’élève modèle – à la sacro-sainte parole du professeur ?

Faire le choix de les garder « vivant », souples et créatifs, c’est accepter d’être bousculés dans nos certitudes de parents, de professeurs, d’animateurs pour nous laisser interpeller par les richesses individuelles que porte chacun d’eux et les accompagner en toute humilité pour qu’ils mènent à bien leur éclosion au service de tous.

Ce n’est qu’en leur donnant la possibilité de cultiver au quotidien la capacité de s’adapter, d’inventer sans cesse le nouveau que nous leur permettrons de surmonter chaque crise engendrée par la grande crise que nous traversons aujourd’hui et qui risque d’être plus criante encore à moyen terme.

Dans ce cas, l’école a-t-elle encore un avenir ? La question se pose vraiment, surtout si l’on observe un statuquo dans nos méthodes.

Par contre, si elle devient le lieu de l’éclosion des potentiels singuliers, si elle permet à chacun d’expérimenter la richesse des synergies, la force qui émane d’un groupe organisé autour d’un projet commun, peut-être alors pourra-t-elle devenir un terreau de solutions pour notre humanité.

Concrètement aujourd’hui, il me semble qu’il faudrait absolument faire exploser les frontières entre les cours pour les inscrire dans un vécu plus global. Dans ce contexte, donner aux jeunes les moyens logistiques de réaliser des projets communs dans lesquels chacun verrait son potentiel propre et son expérience particulière valorisés. Ne pas craindre d’être emmenés dans des aventures qui dépassent les professeurs eux-mêmes, ce qui leur permettrait de grandir également. Ne pas avoir peur de l’échec qui s’avère aussi formateur que la réussite.

Dans ce cas, on pourrait imaginer que nos jeunes, devenus adultes, se révéleraient aptes à rebondir dans n’importe quel contexte insécurisant, parce qu’ils y retrouveraient autant de déclinaisons de l’aventure initiée à l’école. Plutôt que se morfondre en attendant que les solutions viennent du dehors, ils chercheraient des comparses avec lesquels ils associeraient leurs richesses et leurs différences pour construire de nouveaux projets plus adaptés aux besoins de notre société. Il est fort probable alors qu’ils inventeraient d’autres métiers, d’autres services, et qu’ils prendraient ainsi leur juste place dans le monde.