Réfugiés, n’en faisons pas des assistés, mais des partenaires !

Ces gens qui ont fui leur pays pour ne pas mourir ont besoin, non seulement de notre compassion et de notre accueil, mais également, et peut-être surtout, de retrouver leur noblesse originelle.

Je rêve que des ONG ou des bénévoles organisent un système de parrainage auquel nous pourrions tous nous adresser. Chaque personne (ou famille) réfugiée pourrait être mise en contact avec un parrain (ou une famille de parrains) qui s’engagerait juste à donner un peu de son temps pour rendre des visites, inviter à la maison, sillonner le pays ensemble, comme on peut le faire entre amis.

De là, pourraient se créer des liens entre des êtres humains qui connaissent, à des degrés divers, les mêmes grandes émotions et se reconnaîtraient donc entre semblables.

Un partage de connaissances différentes et d’expériences vécues pourrait alors s’amorcer. Et sans doute, à un moment donné, un désir mutuel de se rendre utile, d’apporter son savoir-faire au service de l’autre, parce que c’est en percevant concrètement son utilité que l’on retrouve sa dignité et que l’on prend spontanément sa place au cœur d’une société. Et c’est aussi dans un échange véritable que les humains trouvent leur épanouissement.

Ces mots peuvent être interprétés comme un appel à tous ceux qui éprouvent le besoin d’un accueil profond et véritable, qui n’ont pas peur de se laisser interpeller et transformer par l’Autre et qui ont bien sûr, les aptitudes nécessaires pour mener à bien une telle aventure, en devenant les médiateurs d’un réseau fantastique d’hommes et de femmes désireux de grandir ensemble.

Retrouver la simplicité

Livre_Dominique-8 - copieL’école, telle que nous l’avons élaborée en quelques centaines d’années s’est construit des murs de plus en plus épais, à partir d’un échafaudage mental d’obligations en tous genres, censées mener nos jeunes vers la réussite, mais qui ne font que surdévelopper des intellects au détriment de toutes les autres formes d’intelligence qui pleurent d’être ainsi délaissées.

Les murs se fissurent de toutes parts sous la pression des personnalités diverses qui crient leur soif de vivre et d’être reconnues pour ce qu’elles sont.

Or plutôt que d’entendre leur message, on leur invente un tas de maladies, des plus disgracieuses (dyslexie, dyscalculie, TDAH, etc.) aux plus flatteuses, comme les « hauts potentiels », pour lesquels on crée des spécialisations, on forme intellectuellement des experts que l’on paie bien cher afin qu’ils maintiennent tout ce beau monde dans l’enceinte de l’établissement scolaire.

Par ailleurs, puisqu’il faut bien sûr répondre aux besoins culturels et spirituels différents de tous, on propose des cours de toutes les religions, ou l’on érige des écoles de confessions différentes.

Et comme, dans tous ces ghettos, les gens n’apprennent pas à s’entendre dans leurs différences, on crée des cours de citoyenneté pour enseigner le vivre ensemble.

On colmate les brèches une à une, toujours avec une guerre de retard et, malgré tout, les murs se lézardent et les faits de violence envers l’école ou dans la société en général se multiplient : ils ne sont que le symptôme de cette même violence subie par tous ceux qui n’y ont pas trouvé leur place.

Alors, devant les décrochages de plus en plus nombreux, les problèmes insolubles rencontrés par certaines familles, des gens s’affolent pour leurs enfants et, plus ou moins bien inspirés, créent des écoles alternatives, parfois mieux adaptées, mais dont le prix est souvent exorbitant, et ne s’adressent donc qu’aux élites.

Ces établissements ne sont pas toujours sans danger lorsqu’ils prennent totalement le contrepied du formatage éducatif et que leur projet consiste à mettre l’enfant au centre de leurs préoccupations. Ils oublient que la véritable finalité d’un être, son épanouissement, réside dans sa capacité à se mettre au service d’une noble cause[1] qui le dépasse, et que cela s’apprend. Les ravages sont tout autres : perte de contact avec la réalité et les frustrations qu’elle engendre, découragements lorsqu’il s’agit de s’y confronter, voire même des comportements suicidaires. La violence revient en force, avec d’autres visages : soit dirigée contre la société, perçue comme décevante, mais elle se retourne surtout contre le jeune lui-même, qui ne se sent pas de taille à affronter l’existence.

Devant tous ces constats, nous ne pouvons éviter de nous poser la question essentielle : de quoi avons-nous réellement besoin pour grandir, pour nous inscrire dans la société en tant que personne libre et responsable d’elle-même et de la collectivité tout entière ? Selon moi, l’éducation nécessite avant tout un environnement ferme et sécurisant qui rappelle sans cesse à l’enfant le sens de sa dignité : écouter Ce qui pulse en lui et le pousse à développer son potentiel unique au service de la Vie tout entière. D’une certaine façon, l’éducation doit devenir résolument spirituelle. Et lorsque je parle de spiritualité, je ne songe pas bien sûr aux religions, mais à ce processus qui conduit chacun à aligner harmonieusement toutes les parties de son être pour servir au mieux.

Le temps est venu, je crois, d’insister, comme on le fait en développement personnel, sur la nécessité de lâcher, lâcher prise, lâcher le contrôle, de desserrer l’étau dans lequel nous enfermons nos enfants et de faire confiance à la vie elle-même, à leurs pulsions profondes, leur envie innée d’apprendre et de se dépasser.

Si nous plantons un gland et un noyau de cerise dans un jardin, nous n’y verrons pas s’épanouir d’autres arbres qu’un chêne et un cerisier. La richesse de la terre dans laquelle ils grandiront, le ciel, le soleil et les intempéries, les insectes, seront les seuls à exercer une influence, mais ils n’agiront que sur leur forme et leur stature ainsi que sur l’abondance et la qualité de leurs fruits. C’est en enfonçant leurs racines plus ou moins profondément dans le sol et en cherchant la lumière envers et contre tout qu’ils bâtiront leur corps, tordus ou élancés, rabougris ou délicats, etc.

Il en va de même pour les humains et c’est bien là le seul véritable pouvoir que nous ayons en tant qu’éducateurs : offrir un environnement culturel, sportif, artistique, spirituel, le plus riche possible (une terre nourrie régulièrement par le compost), dans lequel nos enfants pourront enraciner ce qu’ils sont déjà par essence, et leur montrer le ciel, afin de leur donner la possibilité d’éclore à eux-mêmes et au monde : ils ne sont pas venus sur terre pour s’auto-alimenter égoïstement, ils ont un devoir d’y faire mûrir des fruits pour la collectivité. C’est dans le pressentiment de leur utilité qu’ils découvrent leur noblesse, le sens de leur vie et l’enthousiasme qui lui est lié. Le bonheur n’existe que partagé.

Un des avantages d’une telle proposition, c’est que contrairement à ce qui se dit aujourd’hui « L’école va mal, il faut lui donner plus d’argent ! », elle nécessite au contraire beaucoup moins de moyens, puisqu’elle peut s’appuyer sur des synergies et la solidarité entre tous les acteurs de la société, et qu’il n’est plus autant besoin de faire appel à des spécialistes en tous genres, chacun cherchant son chemin avec son potentiel, tout en compensant naturellement les limites qui sont les siennes.

Bien sûr, comme le souligne Edgar Morin, tout est inter-relié : « On ne peut pas réformer l’institution sans avoir au préalable réformé les esprits, mais on ne peut pas réformer les esprits si l’on n’a pas au préalable réformé les institutions. » Comme lui, je pense qu’ « il n’y a pas de réponse proprement logique à cette contradiction, mais (que) la vie est capable d’apporter des solutions à des problèmes logiquement insolubles. »[2]

Faut-il prendre le risque de tenter cette aventure ? Je crois que oui, si elle se vit avec des parents et des « éveilleurs » convaincus, suffisamment formés et solides humainement, car le changement de la société passe par le changement des individus eux-mêmes et qu’une expérience peut se répandre de façon exponentielle. Je pense même qu’il vaut mieux ne pas l’imposer d’en haut, car elle risquerait d’y perdre son âme.

En attendant, en tant que professeur de grands adolescents et de jeunes adultes, j’ai envie de témoigner que les tout petits changements que j’ai opérés au sein de mes classes, en deux heures par semaine, s’avèrent déjà totalement bouleversants et agissants. Ils permettent d’imaginer le bénéfice considérable qu’apporterait aux jeunes (et à la société !) une réelle et fondamentale métamorphose de leur éducation, basée sur la confiance en la Vie et en l’essence même de chacun, ainsi que sur la volonté de développer toutes leurs intelligences en même temps.

En ce qui me concerne, ces changements se déclinent au niveau du déroulement même de mes cours : la forme que je leur donne constitue en elle-même une éducation. Quant au fond, les échanges que je suscite en classe, mes élèves les reconnaissent d’emblée comme un apprentissage de la vraie vie. Même s’il est malaisé d’en séparer les thèmes, parce qu’ils sont tous interconnectés et qu’ils se nourrissent mutuellement, je les résumerais en quatre points : apprendre la vie et devenir son allié, apprendre à se connaître, apprendre à entrer en relation, apprendre à trouver son utilité dans un monde en métamorphose.

Cet apprentissage me paraît fondamental pour permettre à l’adolescent de se créer une colonne vertébrale psychique, affective et spirituelle solide et de donner du sens à son existence. Celle-ci étant fermement construite, les autres intelligences se grefferont sans mal autour d’elle et il sera beaucoup plus facile alors de donner sa confiance au jeune et d’accompagner son désir inné d’apprendre et de se rendre utile.

 

 

[1] Lorsque nous ne permettons pas ce rapport à la transcendance, dont parle Denis Marquet (Nos enfants sont des merveilles, Les clés du bonheur d’éduquer, Nil 2012) beaucoup de jeunes s’engouffrent dans les sectes, les intégrismes et les guerres de religion qui semblent répondre à leur besoin de sens.

[2] Edgar Morin, La Voie pour l’avenir de l’humanité, Fayard, 2011, p. 151