En colère

Je suis en colère contre le système scolaire qui déresponsabilise les enfants en les plaçant dans une relation frontale. Ils se vivent au combat qui les oppose à leurs professeurs, donneurs de notes, plutôt qu’au sein d’un processus qui peut les aider à se rapprocher de leur potentiel et de leur projet de vie.En fin de compte, la plupart des jeunes finissent par viser le minimum requis en oubliant de s’interroger sur la valeur du diplôme qu’ils sont en train de se construire. La plupart des jeunes se sabotent inconsciemment…

Je suis en colère contre le système scolaire qui paralyse la créativité et le dynamisme des professeurs, en leur donnant des balises tellement précises qu’ils n’ont plus d’autre choix que d’avancer le nez sur le guidon et sur leur sacro-saint programme.Les enseignants n’ont pas le temps de s’interroger sur le sens de l’éducation, sur les fondements de leur pratique, pas le temps d’écouter leurs élèves comme ils le souhaiteraient, pas le temps de partager un enthousiasme commun, pas le temps… et bien vite, plus d’énergie…Ils sortent aigris de ce rapport de force dans lequel ils deviennent bourreaux malgré eux.Beaucoup de professeurs sortent usés de cette aventure et attendent leur retraite avec impatience…

Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont tellement las du comportement de leurs élèves qu’ils déploient le peu d’énergie qui leur reste à rechercher le cadre disciplinaire le plus adéquat pour le travail et pour l’étude. Cette quête effrénée d’une solution extérieure, souvent punitive, qui tente par tous les moyens de canaliser l’attention des jeunes,[1]en renforçant les murs de leur école/prison, me fait penser à de nombreuses solutions générées par la peur de maints gouvernants et spécialement de l’extrême droite : plutôt que de prendre conscience que des jeunes se réfugient dans la délinquance ou le radicalisme parce qu’on ne leur a pas donné la possibilité de se forger une identité positive et reconnue par tous, plutôt que de travailler en amont sur l’accueil, et surtout sur l’écoute des véritables besoins d’enfants aux richesses multiples, les états se barricadent de plus en plus en se militarisant.

Et si nous prenions de l’altitude ? Si nous prenions conscience que les enfants du XXIe siècle ne sont plus ceux d’antan ? Si nous acceptions de les laisser nous dire qui ils sont aujourd’hui, le besoin qu’ils ont d’évoluer de façon horizontale, côte à côte, en synergie. Si nous nous rendions accessibles au désir qu’ils ont de nous sentir partenaires de leurs projets personnels, projets qui, seuls, ont le pouvoir de donner du sens à une démarche d’apprentissage ?

Se laisser interpeller par eux, c’est accepter de lâcher prise. D’où vient que nous soyons si persuadés qu’il leur est nécessaire de connaître toutes les matières enseignées à l’école, qui plus est, sous un angle bien précis ?D’où nous attribuons-nous le pouvoir de décider qu’un jeune a acquis ou non les bases nécessaires pour s’envoler de ses propres ailes ?Sommes-nous au courant des avancées de « la neurobiologie moderne (qui) a démontré que (…) le cerveau se développe là où nous l’utilisons avec enthousiasme ! »[2]

Redonner du sens, écouter nos enfants nous parler de leurs émotions, de leurs rêves, leur rendre leur pouvoir sur leur vie en les encourageant à écouter la transcendance de leur Désir profond[3], les aider à canaliser leurs forces vers l’expression toujours plus concrète de leur potentiel, cultiver avec eux le plaisir d’évoluer ensemble, voilà quelques pistes pour réformer l’école, si l’école peut avoir encore une quelconque utilité.

Permettons à chaque jeune d’avancer vers une vision toujours plus claire de son potentiel et de ses rêves et ce, en mettant en place des outils concrets de connaissance de soi et de confrontation à la réalité dès les premières années.[4]Supprimons le caractère sanctionnant des évaluations pour ne leur laisser qu’un rôle d’information afin que chacun s’y mesure en fonction de ses projets.Professeurs et élèves, retrouvons l’enthousiasme du jeu si propice à l’apprentissage !

Et sortons enfin de l’idée qu’il faut souffrir pour apprendre ! Ce sont la joie et la complicité qui nous donnent l’envie de nous dépasser sans cesse, pas vrai ?

[1] Je visualise un ballon plein de trous que l’on essayerait de colmater par tous les moyens. Dès qu’un orifice est rebouché, d’autres apparaissent à d’autres endroits.

[2] André Stern, Semeurs d’enthousiasme, Manifeste pour une écologie de l’enfance, L’Instant présent, 2014

[3] Propos inspirés par Denis Marquet, Nos enfants sont des merveilles, Les clés du bonheur d’éduquer, Nil, 2012

[4] Voir mon article intitulé « Des talents au service de tous »

André Stern, Semeurs d’enthousiasme

myspace.com
myspace.com

André Stern, Semeurs d’enthousiasme, Manifeste pour une écologie de l’enfance, L’Instant présent, 2014, 27 pages. (Extraits)

 

En éducation, l’air frais nous vient de la science, de l’observation des incroyables dispositions de l’enfant et de l’attitude respectueuse qui, immanquablement, en résulte.

(…)La neurobiologie moderne a démontré que le cerveau se développe en fonction de l’usage que l’on en fait ! (…) Le cerveau se développe là où nous l’utilisons avec enthousiasme ! (…)

En observant les petits enfants, on constate qu’ils éprouvent une poussée d’enthousiasme toutes les 3 minutes. Chez l’adulte, une telle poussée ne se vit en moyenne que de 2 à 3 fois par an… Pourquoi personne ne s’est-t-il demandé ce qu’il adviendrait d’un enfant qu’on laisserait toute sa vie dans sont état d’enthousiasme naïf ? (…) Il y a un génie potentiel en chaque enfant. (…) Pour y parvenir, il nous faut, absolument, nous libérer des hiérarchies entre les métiers et entre les matières. (…)

Ce n’est pas par hasard que la nature nous a équipés de la capacité de jouer : il s’agit du plus surprenant, du plus efficace, du plus adapté et du plus heureux des dispositifs de développement cérébral. (…) Pour lui (l’enfant), jouer et apprendre sont de parfaits synonymes.

(…) L’enfant ne connaît qu’union, entente et solidarité. (…) L’enfant ne survivrait pas sans la solidarité. (…) C’est son unique expérience.

(…) L’enfant, dès 12 mois, nous imite !

(…) On a longtemps cru qu’il fallait rendre l’enfant autonome en « coupant le cordon », en l’incitant à « quitter le nid ». Dorénavant, on sait que c’est l’inverse : c’est d’un port d’attache dont il aura, infailliblement, éprouvé la fiabilité, que l’enfant partira, un jour (le sien) sans crainte, à l’aventure.

(…) Mettre l’enfant à l’écart du monde, c’est contrarier sa disposition spontanée à aller « dans le vaste monde ».

(…) Alors qu’ils portent en eux la conscience des synergies nées des différences, ils sont mis en catégories, comparés selon ce qui est comparable, et s’adaptent dès leur plus jeune âge, à la plus grande sapeuse de potentiels jamais rencontrée : la compétition.

(…) On a cru nécessaire de préparer l’enfant à la frustration, afin qu’il y soit résistant. (…) Mais c’est tout l’inverse qui est vrai : lorsque la satisfaction est majoritaire, la frustration n’est qu’anecdotique.

(…) Chaque fois que l’on intervient, même plein de bonne volonté, dans le processus naturel, on fragilise l’enfant, (…) sa confiance en son aptitude à apprendre et à se dépasser lui-même – aptitude pourtant native.

(…) Choisir d’accueillir, sans valorisation, sans dévalorisation, la disposition spontanée de l’enfant est une attitude qui demande à mettre de côté ses propres expériences, ses attentes, ses idées, ses habitudes, ses désirs et ses conditionnements. (…) IL existe une méthode infaillible pour se mettre à l’abri des faux-pas et de ses propres peurs : ne jamais partir de soi, toujours partir de l’enfant. (…) Il ne faut qu’une structure. Faire de tout ce qui assure, de tout ce qui rassure. (…) Les mêmes jeux, les mêmes parcours, indéfiniment, sans que l’adulte zélé ne propose de variations. (…) Si l’enfant joue trop au même jeu, on pense qu’il va s’ennuyer, alors on lui propose le changement. Or, l’ennui découle de l’inconstance, et l’inconstance découle de l’interruption artificielle de la continuité.