Selon l’OCDE, la Suède, qui se plaçait en tête des systèmes éducatifs, doit revoir sa copie. En effet, l’enquête PISA y révèle des résultats catastrophiques, nettement en recul par rapport aux autres années.
Personnellement, j’aimerais hasarder une réponse qui fait écho aux cris d’alarme déjà exprimés auparavant par une tranche de la population suédoise, ainsi que par des spécialistes comme le psychiatre David Eberhard qui avait manifesté son inquiétude dans un essai intitulé « Comment les enfants ont pris le pouvoir », publié en 2013.
L’auteur y détaillait les raisons qui, selon lui, ont amené les enfants suédois à perdre le contact avec la réalité et les frustrations qu’elle induit nécessairement. Devenus adultes, leur éducation, trop laxiste, les amène à connaître d’énormes déceptions et découragements, situations à l’origine de comportements suicidaires.
Cette question me taraude également depuis longtemps déjà, à partir de l’observation de certains de mes élèves ; spécialement ceux que les parents défendent à corps et à cris face au monde enseignant qu’ils discréditent au profit de la toute puissance de leur progéniture. Le trône fantasmatique qu’ils offrent à leurs enfants ressemble trop vite, me semble-t-il, à une chaise d’amertume lorsqu’il s’agit de prendre une place active dans le monde actuel qui demande courage et dépassement, créativité et souplesse autant que collaboration empathique.
Il était capital sans aucun doute de rendre à l’enfant son statut de personne à part entière, comme nous l’avait si bien rappelé Françoise Dolto. Il est important aussi de le considérer comme un interlocuteur digne d’attention et de respect ; de reconnaissance des émotions qui le traversent, par exemple.
Mais l’erreur à ne pas commettre consiste à lui donner la place centrale. Pour se construire et prendre conscience de son potentiel, le jeune a besoin d’un environnement ferme et sécurisant qui lui rappelle sans cesse le sens de sa dignité : écouter Ce qui pulse en lui et le pousse à développer son potentiel unique au service de la Vie tout entière.
Comme l’observe si bien Denis Marquet[1], le parent doit appuyer son autorité sur le Désir transcendant de l’enfant, moteur qui se situe, non à l’extérieur de la personne, rôle tenu auparavant par l’église ou l’état, mais bien dans son for intérieur.
Ce Désir, j’aime le nommer l’En-Vie pour souligner à quel point, c’est cette pulsion qui met en vie, qui appelle la réalisation de notre Noblesse[2]. En faisant référence à cette EnVie, je ne songe donc pas aux penchants anesthésiants ni aux ersatz de plaisir qui ne construisent pas la personne mais peuvent la détendre par moments. Le processus d’ « élèvement » n’a donc rien à voir avec du laisser-aller, que du contraire : quand il s’agit de se montrer à la hauteur de sa dignité, le chemin s’avère bien plus contraignant et plus responsabilisant.
C’est pourquoi tous les éducateurs, quels qu’ils soient, se voient confier aujourd’hui une mission bien plus délicate que celle de leurs prédécesseurs. Entre la toute puissance de ceux qui savaient et s’imposaient d’une main de fer sans considération pour les personnes et le laisser-faire des parents stressés et influencés par l’ego de leurs enfants, il existe une voie moyenne : elle consiste à aider le jeune à prendre soin de sa part sacrée, de son essence, pour l’épanouir dans l’intérêt du Vivant sous toutes ses formes. L’attention apportée au meilleur du petit dont on a la charge entraîne spontanément un rapport de bienveillance et d’écoute non dénué d’autorité.
Prendre soin de l’autre, c’est accepter de le frustrer tout en lui donnant le droit à ses émotions, c’est lui expliquer ses devoirs autant que ses pouvoirs, c’est décider de l’heure du coucher tout en accueillant la déception ou la colère, c’est apprendre à partager tout en reconnaissant la difficulté de le faire, c’est encourager à travailler les gammes plutôt qu’à surfer sur internet, fixer des horaires d’accès à l’ordinateur, etc.
Mais le jeune comprend très vite le sens de cette nouvelle autorité pleine d’amour et, lorsque celle-ci s’exerce de façon cohérente, il éprouve moins que les autres de la réticence à lui faire confiance et à la respecter. Quelque chose en lui sait que c’est bon pour lui.
[1] Denis Marquet, Nos enfants sont des merveilles, les clés du bonheur d’éduquer, Nil, 2012.
[2] Marie Milis, Souviens-toi de ta noblesse, Le Grand Souffle Ed, Paris, 2008.