André Stern, Semeurs d’enthousiasme

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André Stern, Semeurs d’enthousiasme, Manifeste pour une écologie de l’enfance, L’Instant présent, 2014, 27 pages. (Extraits)

 

En éducation, l’air frais nous vient de la science, de l’observation des incroyables dispositions de l’enfant et de l’attitude respectueuse qui, immanquablement, en résulte.

(…)La neurobiologie moderne a démontré que le cerveau se développe en fonction de l’usage que l’on en fait ! (…) Le cerveau se développe là où nous l’utilisons avec enthousiasme ! (…)

En observant les petits enfants, on constate qu’ils éprouvent une poussée d’enthousiasme toutes les 3 minutes. Chez l’adulte, une telle poussée ne se vit en moyenne que de 2 à 3 fois par an… Pourquoi personne ne s’est-t-il demandé ce qu’il adviendrait d’un enfant qu’on laisserait toute sa vie dans sont état d’enthousiasme naïf ? (…) Il y a un génie potentiel en chaque enfant. (…) Pour y parvenir, il nous faut, absolument, nous libérer des hiérarchies entre les métiers et entre les matières. (…)

Ce n’est pas par hasard que la nature nous a équipés de la capacité de jouer : il s’agit du plus surprenant, du plus efficace, du plus adapté et du plus heureux des dispositifs de développement cérébral. (…) Pour lui (l’enfant), jouer et apprendre sont de parfaits synonymes.

(…) L’enfant ne connaît qu’union, entente et solidarité. (…) L’enfant ne survivrait pas sans la solidarité. (…) C’est son unique expérience.

(…) L’enfant, dès 12 mois, nous imite !

(…) On a longtemps cru qu’il fallait rendre l’enfant autonome en « coupant le cordon », en l’incitant à « quitter le nid ». Dorénavant, on sait que c’est l’inverse : c’est d’un port d’attache dont il aura, infailliblement, éprouvé la fiabilité, que l’enfant partira, un jour (le sien) sans crainte, à l’aventure.

(…) Mettre l’enfant à l’écart du monde, c’est contrarier sa disposition spontanée à aller « dans le vaste monde ».

(…) Alors qu’ils portent en eux la conscience des synergies nées des différences, ils sont mis en catégories, comparés selon ce qui est comparable, et s’adaptent dès leur plus jeune âge, à la plus grande sapeuse de potentiels jamais rencontrée : la compétition.

(…) On a cru nécessaire de préparer l’enfant à la frustration, afin qu’il y soit résistant. (…) Mais c’est tout l’inverse qui est vrai : lorsque la satisfaction est majoritaire, la frustration n’est qu’anecdotique.

(…) Chaque fois que l’on intervient, même plein de bonne volonté, dans le processus naturel, on fragilise l’enfant, (…) sa confiance en son aptitude à apprendre et à se dépasser lui-même – aptitude pourtant native.

(…) Choisir d’accueillir, sans valorisation, sans dévalorisation, la disposition spontanée de l’enfant est une attitude qui demande à mettre de côté ses propres expériences, ses attentes, ses idées, ses habitudes, ses désirs et ses conditionnements. (…) IL existe une méthode infaillible pour se mettre à l’abri des faux-pas et de ses propres peurs : ne jamais partir de soi, toujours partir de l’enfant. (…) Il ne faut qu’une structure. Faire de tout ce qui assure, de tout ce qui rassure. (…) Les mêmes jeux, les mêmes parcours, indéfiniment, sans que l’adulte zélé ne propose de variations. (…) Si l’enfant joue trop au même jeu, on pense qu’il va s’ennuyer, alors on lui propose le changement. Or, l’ennui découle de l’inconstance, et l’inconstance découle de l’interruption artificielle de la continuité.

 

Des talents au service de tous

Outil facile à mettre en place à l’école : un révélateur de talents

 

Objectifs 

 Concernant les professeurs, les directeurs et le personnel dans son ensemble :

  • Permettre à chacun de ne pas être réduit à sa fonction principale, mais de pouvoir être reconnu dans ses talents en les mettant au service de tous.
  • Prendre conscience qu’une personne qui se sent utile s’engage avec d’autant plus d’enthousiasme dans son travail.
  • Apporter de la souplesse dans le travail et des échanges fructueux entre collègues. Sortir d’un cadre trop rigide qui risque d’éteindre la créativité et le dynamisme.
  • Permettre à chacun de faire sans cesse évoluer sa personnalité et ses forces.
  • Induire davantage de plaisir au travail.

Concernant les élèves :

  • Permettre à chaque jeune d’avancer de plus en plus subtilement dans la connaissance de lui-même, de ses forces et de ses faiblesses.
  • Lui donner des espaces d’expérimentation de ses talents pour les confronter à la réalité et en affiner la perception.
  • Ouvrir implicitement une réflexion sur sa place et son utilité dans la société.
  • Développer la confiance en soi.
  • Permettre au professeur d’avoir une vue plus globale de son élève pour ne pas le réduire à un simple apprenant. Lui donner la possibilité de découvrir et d’encourager les forces du jeune qu’il a dans sa classe.
  • Encourager avec sérieux des potentiels a priori extérieurs aux matières scolaires pour sortir de la rigidité engendrée par le cadre et faire des ponts entre la vie à l’école et le projet global de l’élève.
  • Permettre au jeune de dessiner peu à peu son projet de vie en se confrontant plus souvent à des expériences concrètes.
  • Induire davantage de plaisir à l’école

 Concernant tout le monde : rassembler, créer des synergies, développer la créativité et le dynamisme. Nourrir la confiance en soi et la joie de vivre.

 Réalisation concrète

 Sur un logiciel, un blog, une plateforme…

L’école fournit une liste de compétences la plus complète possible.[1]

En regard, on veille à y accoler trois petites colonnes.

À chaque rentrée scolaire (il est possible de se réévaluer en fonction des expériences vécues et de la connaissance plus subtile que chacun aura de lui),

– dans la première colonne, chaque personne est amenée à cocher tous ses talents.

– dans la deuxième, elle coche, parmi ces derniers, ce qu’elle aime réellement faire, les talents dans lesquels elle s’épanouit vraiment.

– dans la troisième, elle coche au grand maximum 5 talents qu’elle aimerait mettre au service de l’école et/ou de sa classe durant l’année.

Pour l’école et pour chaque classe, il y aurait la possibilité d’accéder à un répertoire de talents suivis de noms, que tous les acteurs de l’école seraient amenés à consulter.

En ce qui concerne chaque classe, une activité pourrait se faire au début d’année avec le titulaire afin que chacun puisse partager ce qu’il pense déjà savoir de lui à ce moment-là.

 Dans la pratique, quelques exemples :

Donner des exemples dans ce domaine est très réducteur parce que presque tout deviendrait possible à tous niveaux.

 Je suis directeur et je me rends compte qu’un de mes professeurs de math est engagé dans la défense de l’environnement. Je voudrais créer un projet d’école autour de ce thème. Je lui demande de bien vouloir collaborer avec moi dans ce domaine. Que peut-il nous apporter concrètement ? Y a-t-il des élèves qui rêveraient de se joindre à un projet de ce type ? Etc.

Je suis directeur et j’apprends qu’un de mes professeurs de français est très créatif. Or, les professeurs d’art ont justement besoin de soutien pour réaliser un projet qui leur demande davantage de participants. Serait-il prêt à renforcer les troupes ?

Je suis directeur et je sais qu’un de mes professeurs adore bricoler…

Je suis directeur et je sais qu’un des professeurs a les capacités et l’envie de rassembler de nombreuses personnes autour d’un spectacle d’école ou d’un projet humanitaire, etc.

Je suis professeur et je me rends compte qu’un de mes collègues peut m’aider dans un domaine qui m’attire et pour lequel j’aimerais me former davantage.

Je suis professeur et je voudrais former une petite équipe de gens passionnés dans un domaine précis…

Je suis secrétaire et je voudrais réussir une belle fête à l’école pour telle occasion… J’ai une idée précise des talents dont j’aurais besoin, pour l’animation, la décoration, etc.

Je suis comptable et je découvre qu’un élève aimerait se tester dans un domaine où il pourrait vraiment me donner un coup de pouce de temps en temps à ses heures de fourche.

Je suis ouvrier et je voudrais qu’un élève ou un professeur qui adore bricoler vienne m’aider de temps à autres….

Je suis professeur et je voudrais créer un projet avec ma classe. J’aimerais me laisser interpeller d’abord par les forces et les envies de tous avant d’imposer une idée trop rigide.

Tel élève ne réussit pas bien chez moi. Par contre, j’apprends qu’il a de grands talents en judo. Cette découverte me permet de ne pas me focaliser sur ses limites dans mon cours, mais de m’intéresser à ses forces vives.

Je suis un élève et je voudrais former un groupe de musique ou un spectacle entre musique, danse, théâtre.

Je suis un élève et j’aimerais me faire aider en sciences. Je découvre, par le biais du répertoire, un plus grand qui se dit fort en sciences et apte à transmettre.

[1] On peut s’inspirer du tableau suivant : http://www.toilejeunesse.centre-du-quebec.qc.ca/client/uploads/Librairies/Fichiers/Mes%20aptitudes.pdf

Les héritiers ou comment remettre un jeune debout

UnknownÀ propos du film Les Héritiers réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar, France 2014

Même si j’ai trouvé ce film extrêmement touchant et troublant de justesse, au point que certaines scènes me semblaient tout droit issues de la réalité et non d’une fiction, je ne m’aventurerai pas sur un terrain qui n’est pas le mien et ne me permettrai donc pas une critique cinématographique en bonne et due forme.

Mon propos visera plutôt à souligner les ingrédients qui ont fait de l’expérience relatée une magnifique victoire sur le décrochage scolaire et la violence, souvent plus exacerbés au sein des banlieues, là où de nombreux jeunes et moins jeunes n’arrivent pas à se faire reconnaître dans leurs potentialités originales ni à se rendre utiles à la société.

En les entraînant dans l’aventure du concours national, le professeur, incarné par Ariane Ascaride, a montré à ses élèves à quel point elle leur faisait confiance, à quel point elle savait qu’avec leurs forces singulières, ils étaient capables de relever un défi qui paraissait à leurs yeux insurmontable. Forces singulières s’il en est puisqu’après avoir constaté leur manque de compétences scolaires proprement-dites, elle les a amenés, non à se formater à la voie que l’école leur aurait tracée pour ce genre de démarche, mais à découvrir ce que leur vérité, leur authenticité leur suggérait.

Ce regard bienveillant et qualifiant leur a permis non seulement de développer la foi en eux-mêmes, mais aussi de s’ouvrir à leur créativité et d’inventer une approche toute nouvelle.

L’enseignante a compris également l’importance de ne pas accorder de notes aux élèves pour cette recherche. Lorsque l’on supprime la pression de l’évaluation, qui se base sur des critères extrêmement rigides et sclérosants, lorsqu’il peut sortir du cadre qui le limite à une infime partie de ses richesses personnelles, le jeune peut se laisser aller peu à peu à l’enthousiasme de la gageure, le plaisir inné de la découverte et le bonheur de la construction.

Ouverte à leurs propositions, le professeur accepte également de rester dans l’ombre, au service des jeunes. Elle devient alors une éveilleuse qui, non seulement aime se laisser surprendre par ses élèves mais bien plus les encourage dans leurs initiatives, sans hésiter toutefois à signaler leurs incohérences ni à les aider avec ses forces à elle.

Et bien sûr, le but de l’aventure est collectif et engage tous les élèves volontaires dans une collaboration inédite. Le cadre de vie acquiert alors de la souplesse : on bouge dans la classe, on rapproche les tables en petits groupes, puis en équipes plus importantes selon les nécessités. Peu à peu, les jeunes prennent conscience que leur force réside dans le respect mutuel et la synergie qui naît de leurs échanges. Amenés à œuvrer ensemble, ils finissent par se reconnaître mutuellement et à s’apprécier à leur juste valeur. Quel plaisir lorsque les cœurs vibrent enfin à l’unisson !

Pour que l’école devienne un rempart contre les intégrismes et les folies en tous genres, ne devrions-nous pas nous exercer, nous aussi, professeurs, éducateurs, animateurs et parents, à retenir les leçons de cette belle histoire ?

 

7 janvier 2015 : nous ne pouvons plus nous taire !

Face à la barbarie qui a décimé la rédaction de Charlie Hebdo, nous ne pouvons passer sous silence notre responsabilité de citoyens et de professeurs : tout ce qui nous arrive nous ressemble, les deux jeunes qui ont tué froidement les caricaturistes et leurs confrères n’ont fait que répondre en écho à la violence subtile de notre société, dans laquelle l’école constitue un pilier essentiel.

Dans Le Soir d’aujourd’hui, 9 janvier, un travailleur social témoigne : « Le pire est devant nous. (…) Beaucoup dans les quartiers (…) ont une double fragilité, la première nourrissant la seconde : une fragilité économique et une fragilité identitaire. » Lorsque l’identité n’a pas pu se construire au service de la société, elle ne trouve pas d’autre choix que de se retourner contre elle : puisque je n’existe pas positivement à vos yeux, au moins vous me donnerez un nom lorsque je vous ferai du mal. De plus, si je n’ai pas eu l’occasion de développer l’empathie, la capacité à me mettre à la place de l’autre, je n’éprouverai aucune difficulté à commettre des horreurs abominables ni abattre quelqu’un de sang froid.

Combien de drames comme celui-là nous faudra-t-il avant d’accepter de révolutionner l’école de fond en comble ? Combien de victimes innocentes compterons-nous encore avant de donner leur place aux véritables priorités d’une éducation ?

Aujourd’hui, à l’heure où la connaissance se trouve tout entière sur internet, et donc accessible immédiatement à la majorité de nos élèves, quand on sait que les matières sont souvent dépassées au moment où les professeurs les enseignent, il s’avère grandement essentiel de consacrer la majeure partie de notre temps et de l’espace scolaire à ce que j’appelle l’ éveillance, un accompagnement bienveillant qui permette à l’enfant de s’éveiller à son potentiel unique, à son moteur intérieur, tout en lui donnant les moyens de s’ouvrir à l’autre quel qu’il soit, pour agir joyeusement avec lui dans la force renouvelée de synergies chaque fois différentes.

Or que voit-on dans la majorité des classes ? Des bancs alignés les uns derrière les autres où l’on n’aperçoit les camarades que de dos. Dans mes cours où ils sont installés en cercle, certains de mes élèves s’émerveillent de découvrir des personnes qu’ils n’avaient pas remarquées jusqu’alors. Est-ce bien normal ?

Lorsque les jeunes se regardent, lorsqu’on leur donne l’occasion de partager leurs émotions, leurs questionnements, quand l’école n’est plus un lieu de pression où chacun doit tirer tout seul son épingle du jeu mais où l’on cherche ensemble des solutions créatives qui rassemblent, le respect et la douceur s’installent spontanément en même temps que la joie de vivre. C’est ce climat qui favorise l’ouverture à la connaissance.

Alors qu’attendons-nous ?