Edgar Morin : aider à apprendre à vivre

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Edgar Morin, La Voie Pour l’avenir de l’humanité, Fayard, 2011, p152-153

La réforme de l’éducation doit partir de la parole de l’Émile de Jean-Jacques Rousseau où l’éducateur dit de son élève : « Je veux lui apprendre à vivre ». Vivre s’apprend par ses propres expériences, avec l’aide d’autrui, notamment parents et éducateurs, mais aussi les livres, la poésie. Vivre, c’est vivre en tant qu’individu affrontant les problèmes de sa vie personnelle, c’est vivre en tant que citoyen de sa nation, c’est vivre aussi dans son appartenance à l’humain. Bien sûr, l’étude de la littérature, de l’histoire, des mathématiques, des sciences contribue à l’insertion dans la vie sociale, et les enseignements spécialisés sont nécessaires à la vie professionnelle. Mais, avec la marginalisation de la philosophie et de la littérature, il manque de plus en plus dans l’éducation la possibilité d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux de l’individu, du citoyen, de l’être humain. Ces problèmes nécessitent, pour être considérés, la possibilité de réunir nombre de connaissances séparées en disciplines. Ils appellent une façon plus complexe de connaître, une façon plus complexe de penser. Et c’est cela que voudrait apporter la réforme. Tant que nous ne relions pas les connaissances selon les principes de la connaissance complexe, nous restons incapables de connaître le tissu commun des choses : nous ne voyons que les fils séparés d’une tapisserie. Identifier les fils individuellement ne permet jamais de connaître le dessin d’ensemble de la tapisserie.

Du coup, l’enseignement qui part de disciplines séparées au lieu de s’en nourrir pour traiter les grands problèmes casse par là même les curiosités naturelles qui sont celles de toute conscience juvénile qui s’ouvre : Qu’est-ce que la connaissance pertinente ? Qu’est-ce que l’homme ? la vie ? la société ? le monde ?

Un nouveau système d’éducation, fondé sur la reliance, radicalement différent donc de l’actuel, devrait s’y substituer. Ce système permettrait de favoriser les capacités de l’esprit à penser les problèmes individuels et collectifs dans leur complexité. Il sensibiliserait à l’ambiguïté, aux ambivalences, et enseignerait à associer des termes antagonistes pour saisir une complexité.