Si l’on voulait sincèrement que l’école soit un lieu qui stimule le désir d’apprendre, il faudrait logiquement s’interroger :«qu’est-ce qui donne envie d’apprendre ? »
Tant de jeunes, en effet, se rendent à l’école en traînant les pieds, ce qui anéantit tout effort du professeur avant même qu’il entre dans sa classe.
Quand j’observe mes petits enfants ainsi que mes élèves, je remarque qu’ils sont mus par deux moteurs : un moteur interne qu’il convient de protéger, la soif innée de la connaissance et du dépassement de soi. Tout enfant s’anime de plaisir lorsqu’il peut effectuer un progrès, même et peut-être surtout, lorsqu’il se met en jeu, lorsqu’il se lance un défi.
Mais ce moteur s’encrasse rapidement, voire se bloque totalement, à cause du mécanisme même du système scolaire, représenté par les notes et le bulletin. Quand la société, vos professeurs l’ont décidé, il faut que vous compreniez cette matière et que vous l’intégriez, quel que soit votre rythme personnel, sous peine de passer pour un mauvais élève. Évaluer un apprentissage par des points va nécessairement de pair avec la possibilité d’une disqualification. À moins que vous n’obteniez 20/20 ou, après bien des découragements, 10/20, ce qui vous amène à cesser de vouloir progresser. Dans les deux cas, celui de la réussite comme celui de l’échec, l’envie d’évoluer sans cesse se tarit puisqu’elle se heurte
à un plafond, inatteignable pour les uns, atteint pour les autres. « Puisque j’ai ma moitié, pourquoi je ferais encore des efforts ? » diront ceux qui « ont réussi ». Il faut alors beaucoup de doigté pour persuader les adolescents que leur vie ne sera extraordinaire que s’ils vivent leur ordinaire de façon extraordinaire.
Les élèves traînent les pieds parce qu’ « on leur met la pression », comme ils disent. L’école est un boulet que l’on traîne ou une boule dans le ventre. On a peur de la prochaine interrogation, on est fâché, triste ou joyeux des points que l’on a reçus, mais quand est-on véritablement heureux d’avoir appris quelque chose de nouveau ?
Personnellement, puisque je fais partie d’une école qui s’organise comme telle, j’ai l’obligation de remettre régulièrement des notes à mes élèves. J’ai quand même pu prendre quelque peu mes distances avec le système ambiant, en réalisant un compromis : mes élèves savent que s’ils me rendent leurs rapports d’activités à temps, ils auront toujours la moitié des points. Ce qui les stimule davantage, c’est également l’auto évaluation que je leur demande à chaque travail rendu, avec une question sous-jacente : « penses-tu que tu as réalisé cette recherche à la hauteur de ta dignité ? ». Vu que les dés sont un peu pipés, puisque leur réussite dépend de leur bulletin, rares sont ceux qui s’attribuent un échec, les points variant le plus souvent entre 5 et 10/10. Mais je constate déjà que la simple question de départ les encourage à se donner à fond dans l’exercice, voire à y mettre un « petit plus » personnalisé. Je suis, la plupart du temps, fort émue de leur implication dans le travail.
Les jeunes étant rassurés sur leur réussite, ils s’investissent pour le plaisir dans les différentes activités. Selon leurs propres paroles, ils viennent prendre un bol d’air, se libérer de la pression engendrée par les autres cours. L’ambiance est à la détente, ce qui favorise une saine réflexion et un apprentissage bien plus performant parce qu’il s’imprime dans les tripes.
Il existe également un moteur externe qui stimule l’envie d’apprendre, une nourriture essentielle pour l’être humain : l’affection, manifestée par la bienveillance, la reconnaissance et l’encouragement.
En effet, un humain n’est pas une île solitaire, il se construit sous le regard des autres. Qu’on le veuille ou non, l’enfant va bien sûr évoluer tiré par son moteur interne, par le seul plaisir personnel de se dépasser, mais il aura néanmoins besoin régulièrement des encouragements de son entourage. Pour cela, il est important qu’il se sente aimé quelles que soient ses performances mais surtout reconnu dans ses forces parfois plus subtiles, parfois moins visibles. À ce stade de mes observations, je ne peux pas être d’accord avec les pédagogues qui invitent à ne pas féliciter un jeune. Ils ont raison bien sûr d’inciter à la vigilance afin que l’enfant se crée une colonne vertébrale intérieure solide et autonome. Mais je pense qu’il est possible de prodiguer des félicitations en apprenant à discerner ce que l’on encourage et comment on le fait. Il ne s’agit pas de surestimer l’enfant ni de l’illusionner sur ses capacités, mais de souligner régulièrement ce qui va bien chez lui. À ce propos, Denis Marquet écrit « Il convient de distinguer le juste émerveillement face à la réalité de son enfant de l’admiration béate de certains parents en extase devant leurs propres projections. (…) On substitue une image à la réalité de son enfant dès que l’on projette sur lui un idéal. Le critère de discernement est ici : je m’émerveille de mon enfant parce qu’il est lui ; je m’extasie faussement lorsque je le compare à une idée. »(1)
Je crois, dans ce cadre, à la force du compliment sincère. Ces attentions aux progrès, compliments répétés en toute simplicité et sans emphase, vont peu à peu donner au jeune une perception plus fine de son potentiel. C’est à partir de ce qui est en « bonne santé » chez lui qu’il pourra puiser la confiance qui manque tant à nos jeunes aujourd’hui et se confronter plus facilement à ses limites pour les repousser petit à petit.
Personnellement, dans la toute grande majorité des cas, je souligne les forces que j’ai pu observer chez mes élèves même si celles-ci ne sont pas toujours « scolaires », visibles dans les travaux écrits. Dernièrement, par exemple, j’ai félicité un jeune pour la capacité qu’il avait de mener de front sa présence à l’école et un entraînement sportif de haut niveau. Un autre a été complimenté sur sa bonne humeur et son dynamisme contagieux, etc. Lorsque le jeune se posera des questions à propos de son avenir, il faudra qu’il ait une perception assez claire de son potentiel. C’est celui-là que nous encourageons sans le savoir chaque fois que nous le félicitons.
En résumé, j’observe aujourd’hui qu’en tant qu’éveilleurs, nous pouvons nous appuyer sur le moteur interne du jeune, qu’il s’agit de protéger et de nourrir en lui donnant la possibilité de se mettre en jeu sans ajouter de pression extérieure. L’autre moteur sera notre regard, notre attitude bienveillante qui saura accompagner et encourager plutôt que sanctionner.
(1) Denis Marquet, Nos enfants sont des merveilles, Les clés du bonheur d’éduquer, Nil, 2012