Des livres

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Mes « amis »

Dans ce lieu, je vous partage les livres que je considère comme mes amis, soit parce qu’ils m’ont directement nourrie et inspirée, soit parce que j’ai jubilé à leur lecture tant j’y retrouvais un écho à mon intuition personnelle.

 

Bertrand Piccard, Changer d’altitude, Quelques solutions pour mieux vivre sa vie, Stock, 2014

Le site officiel de Bertrand Piccard : http://bertrandpiccard.com/accueil?width=1240#1

 

Thomas d’Ansembourg, Du Je au Nous, L’intériorité citoyenne : le meilleur de soi au service de tous, Éditions de l’Homme, 2014

Le site officiel de Thomas d’Ansembourg : http://www.thomasdansembourg.com/fr/index.html

 

Ilios Kotsou, Éloge de la lucidité, Se libérer des illusions qui empêchent d’être heureux, Robert Laffont, 2014

 

Alexandre Jollien, Petit traité de l’abandon, Seuil, 2012

Le site officiel d’Alexandre Jollien : http://www.alexandre-jollien.ch

 

Olivier Le Naire, Nos voies d’espérance, entretien avec 10 grands témoins pour retrouver la confiance, Actes Sud, Les liens qui libèrent, 2014

Denis Marquet, Nos enfants sont des merveilles, Les clés du bonheur d’éduquer, Nil 2012

André Stern, Et je ne suis jamais allé à l’école, Histoire d’une enfance heureuse, Domaines du possible, Actes Sud, 2011, 163 p.

Sophie Bouquet-Rabhi, La ferme des enfants, une pédagogie de la bienveillance, Domaine du possible, Actes Sud, 2011

Stephen R. Covey, Les sept habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent, J’ai lu, 2012

Deepak Chopra, Les sept lois spirituelles du succès, Demandez le bonheur et vous le recevrez, J’ai lu, Aventure secrète, 2009

Deepak Chopra, Les sept lois pour guider vos enfants sur la voie du succès, J’ai lu, Aventure secrète, 2001

Guy Corneau, Le meilleur de soi, Robert Laffont, 2006

Michel Serres et le jeune d’aujourd’hui

Michel Serres, Petite Poucette ou la génération montante, entretien avec Pascale Nivelle, Libération Culture, 3 septembre 2011

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Vous annoncez qu’un «nouvel humain» est né. Qui est-il ?

Je le baptise Petite Poucette, pour sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce. C’est l’écolier, l’étudiante d’aujourd’hui, qui vivent un tsunami tant le monde change autour d’eux. Nous connaissons actuellement une période d’immense basculement, comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance.

Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux grandes révolutions : le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé. La troisième est le passage de l’imprimé aux nouvelles technologies, tout aussi majeure. Chacune de ces révolutions s’est accompagnée de mutations politiques et sociales : lors du passage de l’oral à l’écrit s’est inventée la pédagogie, par exemple. Ce sont des périodes de crise aussi, comme celle que nous vivons aujourd’hui. La finance, la politique, l’école, l’Eglise… Citez-moi un domaine qui ne soit pas en crise ! Il n’y en a pas. Et tout repose sur la tête de Petite Poucette, car les institutions, complètement dépassées, ne suivent plus. Elle doit s’adapter à toute allure, beaucoup plus vite que ses parents et ses grands-parents. C’est une métamorphose !

Cette mutation, quand a-t-elle commencé ?

Pour moi, le grand tournant se situe dans les années 1965-1975, avec la coupure paysanne, quand la nature, notre mère, est devenue notre fille. En 1900, 70% de la population française travaillait la terre, ils ne sont plus que 1% aujourd’hui. L’espace vital a changé, et avec lui «l’être au monde», que les philosophes allemands comme Heidegger pensaient immuable. La campagne, lieu de dur travail, est devenue un lieu de vacances. Petite Poucette ne connaît que la nature arcadienne, c’est pour elle un terrain de loisirs et de tourisme dont elle doit se préoccuper. L’avenir de la planète, de l’environnement, du réchauffement climatique… tout est bousculé, menacé.

Prenons l’exemple du langage, toujours révélateur de la culture : il n’y a pas si longtemps, un candidat au concours de l’Ecole normale était interrogé sur un texte du XIXe siècle qui parlait de moissons et de labourage. Le malheureux ignorait tout le vocabulaire ! Nous ne pouvions pas le sanctionner, c’était un Petit Poucet qui ne connaissait que la ville. Mais ce n’est pas pour ça qu’il était moins bon que ceux des générations précédentes. Nous avons dû nous questionner sur ce qu’étaient le savoir et la transmission.

 C’est la grande question, pour les parents et les enseignants : que transmettre entre générations?

Déjà, Petit Poucet et Petite Poucette ne parlent plus ma langue. La leur est plus riche, je le constate à l’Académie française où, depuis Richelieu, on publie à peu près tous les quarante ans le dictionnaire de la langue française. Au siècle précédent, la différence entre deux éditions s’établissait à 4 000 ou 5 000 mots. Entre la plus récente et la prochaine, elle sera d’environ 30 000 mots. A ce rythme, nos successeurs seront très vite aussi loin de nous que nous le sommes du vieux français!

Cela vaut pour tous les domaines. A la génération précédente, un professeur de sciences à la Sorbonne transmettait presque 70% de ce qu’il avait appris sur les mêmes bancs vingt ou trente ans plus tôt. Elèves et enseignants vivaient dans le même monde. Aujourd’hui, 80% de ce qu’a appris ce professeur est obsolète. Et même pour les 20% qui restent, le professeur n’est plus indispensable, car on peut tout savoir sans sortir de chez soi ! Pour ma part, je trouve cela miraculeux. Quand j’ai un vers latin dans la tête, je tape quelques mots et tout arrive : le poème, l’Enéide, le livre IV… Imaginez le temps qu’il faudrait pour retrouver tout cela dans les livres ! Je ne mets plus les pieds en bibliothèque. L’université vit une crise terrible, car le savoir, accessible partout et immédiatement, n’a plus le même statut. Et donc les relations entre élèves et enseignants ont changé. Mais personnellement, cela ne m’inquiète pas. Car j’ai compris avec le temps, en quarante ans d’enseignement, qu’on ne transmet pas quelque chose, mais soi. C’est le seul conseil que je suis en mesure de donner à mes successeurs et même aux parents : soyez vous-mêmes ! Mais ce n’est pas facile d’être soi-même.

 Vous dites que les institutions sont désuètes ?

Souvenez-vous de Domenech qui a échoué lamentablement à entraîner l’équipe de France pour le Mondial de foot. Il ne faut pas lui en vouloir. Il n’y a plus un prof, plus un chef de parti, plus un pape qui sache faire une équipe ! Domenech est en avance sur son temps ! Il faudrait de profondes réformes dans toutes les institutions, mais le problème, c’est que ceux qui les diligentent traînent encore dans la transition, formés par des modèles depuis longtemps évanouis.

Un exemple : on a construit la Grande Bibliothèque au moment où l’on inventait Internet ! Ces grandes tours sur la Seine me font penser à l’observatoire qu’avaient fait construire les maharajahs à côté de Delhi, alors que Galilée, exactement à la même époque, mettait au point la lunette astronomique. Aujourd’hui, il n’y a que des singes dans l’observatoire indien. Un jour, il n’y aura plus que des singes à la Grande Bibliothèque. Quant à la politique, c’est un grand chantier : il n’y a plus de partis, sinon des machines à faire élire des présidents, et même plus d’idéaux. Au XIXe siècle, on a inventé 1 000 systèmes politiques, des marxistes aux utopistes. Et puis plus rien, c’est bizarre non ? Il est vrai que ces systèmes ont engendré 150 millions de morts, entre le communisme, la Shoah et la bombe atomique, chose que Petite Poucette ne connaîtra pas, et tant mieux pour elle. Je pense profondément que le monde d’aujourd’hui, pour nous, Occidentaux, est meilleur. Mais la politique, on le voit, n’offre plus aucune réponse, elle est fermée pour cause d’inventaire. Ceci dit, moi non plus, je n’ai pas de réponses. Si je les avais, je serais un grand philosophe.

La seule façon d’aborder les conséquences de tous ces changements, c’est de suspendre son jugement. Les idéalistes voient un progrès, les grognons, une catastrophe. Pour moi, ce n’est ni bien ni mal, ni un progrès ni une catastrophe, c’est la réalité et il faut faire avec. Mais nous, adultes, sommes responsables de l’être nouveau dont je parle, et si je devais le faire, le portrait que je tracerais des adultes ne serait pas flatteur. Petite Poucette, il faut lui accorder beaucoup de bienveillance, car elle entre dans l’ère de l’individu, seul au monde. Pour moi, la solitude est la photographie du monde moderne, pourtant surpeuplé.

 Les appartenances culturelles n’ont-elles pas pris de l’importance ?

Pendant des siècles, nous avons vécu d’appartenances, et c’est ce qui a provoqué bien des catastrophes. Nous étions gascons ou picards, catholiques ou juifs, riches ou pauvres, hommes ou femmes. Nous appartenions à une paroisse, une patrie, un sexe… En France, tous ces collectifs ont explosé, même si on voit apparaître des appartenances de quartier, des communautés autour du sport. Mais cela ne constitue pas les gens. Je suis fan de rugby et j’adore mon club d’Agen, mais cela reste du folklore, l’occasion de boire de bons coups avec de vrais amis… Quant aux intégrismes, religieux ou nationalistes, je les apparente aux dinosaures. Ma Petite Poucette a des amis musulmans, sud-américains, chinois, elle les fréquente en classe et sur Facebook, chez elle, partout dans le vaste monde. Pendant combien de temps lui fera-t-on encore chanter «qu’un sang impur abreuve nos sillons» ?

 Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent de voir évoluer les jeunes dans l’univers virtuel des nouvelles technologies ?

Sur ce plan, Petite Poucette n’a rien à inventer, le virtuel est vieux comme le monde ! Ulysse et Don Quichotte étaient virtuels. Madame Bovary faisait l’amour virtuellement, et beaucoup mieux peut-être que la majorité de ses contemporains. Les nouvelles technologies ont accéléré le virtuel mais ne l’ont en aucun cas créé. La vraie nouveauté, c’est l’accès universel aux personnes avec Facebook, aux lieux avec le GPS et Google Earth, aux savoirs avec Wikipédia. Rendez-vous compte que la planète, l’humanité, la culture sont à la portée de chacun, quel progrès immense ! Nous habitons un nouvel espace… La Nouvelle-Zélande est ici, dans mon iPhone ! J’en suis encore tout ébloui !

Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les nouvelles technologies n’activent pas les mêmes régions du cerveau que les livres. Il évolue, de la même façon qu’il avait révélé des capacités nouvelles lorsqu’on est passé de l’oral à l’écrit. Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ? Les facultés cognitives et imaginatives ne sont pas stables chez l’homme, et c’est très intéressant. C’est en tout cas ma réponse aux vieux grognons qui accusent Petite Poucette de ne plus avoir de mémoire, ni d’esprit de synthèse. Ils jugent avec les facultés cognitives qui sont les leurs, sans admettre que le cerveau évolue physiquement.

 L’espace, le travail, le savoir, la culture ont changé. Et le corps ?

Petite Poucette n’aura pas faim, pas soif, pas froid, sans doute jamais mal, ni même peur de la guerre sous nos latitudes. Et elle vivra cent ans. Comment peut-elle ressembler à ses ancêtres ? Ma génération a été formée pour la souffrance. La morale judéo-chrétienne, qu’on qualifie à tort de doloriste, nous préparait tout simplement à supporter la douleur, qui était inévitable et quotidienne. C’était ainsi depuis Epicure et les Stoïciens.

Savez-vous que Louis XIV, un homme pas ordinaire, a hurlé de douleur tous les jours de sa vie ? Il souffrait d’une fistule anale, qui n’a été opérée qu’au bout de trente ans. Son chirurgien s’est entraîné sur plus de 100 paysans avant… Aujourd’hui, c’est un coup de bistouri et huit jours d’antibiotiques. Je suis le dernier client de mon dentiste qui refuse les anesthésies, il n’en revient pas ! Ne plus souffrir, c’est un changement extraordinaire. Et puis, on est beaucoup plus beau aujourd’hui. Quand j’étais petit, les paysans étaient tous édentés à 50 ans ! Et pourquoi croyez-vous que nos aïeux faisaient l’amour habillés, dans le noir ? La morale, le puritanisme ? Rigolade ! Ils étaient horribles, tout simplement. Les corps couverts de pustules, de cicatrices, de boutons, ça ne pouvait pas faire envie. La fraise, cette collerette que portaient les nobles, servait à cacher les glandes qui éclataient à cause de la petite vérole ! Petite Poucette est jolie, elle peut se mettre toute nue, et son copain aussi. Quand on la prend en photo, elle dit «cheese», alors que ses arrière-grands-mères murmuraient «petite pomme d’api» pour cacher leurs dents gâtées.

Ce sont des anecdotes révélatrices. Car c’était au nom de la pudeur, et donc de la religion et de la morale, qu’on se cachait. Tout cela n’a plus cours. Je crois aussi que le fait d’être «choisi» lorsqu’on naît, à cause de la contraception, de l’avortement, est capital dans ce nouvel état du corps. Nous naissions à l’aveuglette et dans la douleur, eux sont attendus et entourés de mille soins. Cela ne produit pas les mêmes adultes.

 L’individu nouveau a une très longue vie devant lui, cela change aussi la façon d’appréhender l’existence…

Une longue vie devant et aussi derrière lui. L’homme le plus cultivé du monde des générations précédentes, l’uomo di cultura, avait 10 000 ans de culture, plus un peu de préhistoire. Petite Poucette a derrière elle 15 milliards d’années, du big bang à l’homo sapiens, le Grand Récit n’est plus le même ! Et on est entrés dans l’ère de l’anthropocène et de l’hominescence, l’homme étant devenu l’acteur majeur du climat, des grands cycles de la nature. Savez-vous que la communauté humaine, aujourd’hui, produit autant de déchets que la Terre émet de sédiments par érosion naturelle. C’est vertigineux, non ? Je suis étonné que les philosophes d’aujourd’hui, surtout préoccupés par l’actualité et la politique, ne s’intéressent pas à ce bilan global. C’est pourtant le grand défi de l’Occident, s’adapter au monde qu’il a créé. Un beau sujet philosophique.

La créativité

Mihaly Csikszentmihalyi, La Créativité – Psychologie de la découverte et de l’invention, Paris, Robert Laffont, coll. « Réponses », 2006,

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frwikipedia.org

p 17 Nous naissons tous avec deux séries d’instructions contradictoires : une tendance conservatrice qui comprend les instincts d’autopréservation, d’autoaccroissement et d’économie de notre énergie, et une tendance expansive faite des instincts d’exploration, du plaisir de la nouveauté, du risque – la nouveauté qui produit la créativité appartient à cette série. Ces deux programmations nous sont nécessaires. Mais si la première tendance nécessite peu d’encouragements ou d’appuis extérieurs pour motiver nos comportements, la seconde risque de disparaître lorsqu’elle n’est pas entretenue. Si notre curiosité manque d’occasions de s’exercer, si trop d’obstacles encombrent la voie du risque et de l’exploration, la motivation nécessaire pour s’engager dans la créativité finit par s’étioler.

Pierre Rabhi et les enfants

Sous ce titre, je désire partager avec vous différents regards croisés à propos de l’enseignement. Je les puise la plupart du temps au sein d’articles ou de livres.

Pierre Rabhi in Olivier Le Naire, Nos voies d’espérance, entretiens avec 10 grands témoins pour retrouver confiance, Actes Sud/LLL Les liens qui libèrent, 2014

© Fanny Dion-Pierre Rabhi 60
larevolutiondesgrenouilles.fr

p 125 et 126

Olivier Le Naire : Tout cela suppose une révolution des mentalités, une nouvelle hiérarchie des valeurs. C’est d’abord une question d’éducation ?

Pierre Rabhi : Oui. Nous sommes tous arrivés au monde avec une grande disponibilité d’esprit. Et cet enfant qui est ouvert à tout, on peut en faire un ange ou un monstre. Il accueille les valeurs qu’on lui inculque, bonnes ou mauvaises. Ma fille Sophie, dans son école du hameau des Buis, apprend aux élèves à se montrer d’abord attentifs à l’être humain et non à leur fonction future dans la société. L’enfant doit prendre conscience de ce qu’il est, de qui il est et de la communauté, de l’environnement auxquels il appartient. On lui apprend à lire, à écrire, à compter, et c’est très bien car ce sont des outils dont chacun a besoin. Mais malheureusement, parents et professeurs oublient trop souvent qu’ils s’adressent avant tout à un être humain. Michèle et moi avions pour premier souci, lorsque nos enfants étaient plus jeunes, de les encourager à trouver leur voie et leur vocation propres. Peu importait le métier qu’ils feraient plus tard du moment, bien sûr, qu’ils ne causent de préjudice à personne. L’essentiel est qu’ils soient eux-mêmes, qu’ils soient heureux. La joie n’a pas de prix. Au hameau des Buis, cette oasis dont je vous parlais, les habitants interviennent beaucoup dans l’école, chaque génération enseigne à l’autre, on échange ses expériences. C’est léger, c’est souple et rigoureux en même temps. On y apprend beaucoup aussi de la nature environnante, des animaux qui se trouvent sur place. Maintenant, comme toute société humaine, ce n’est pas la perfection, bien sûr, des améliorations et des progrès restent toujours à faire. Idéaliser et magnifier à l’excès serait un contre-témoignage, l’être humain étant en continuelle évolution.

Olivier Le Naire : La société idéale n’existe pas…

Pierre Rabhi : Non, puisque dans toute organisation, même si les intentions sont très élevées, on n’atteint jamais nos idéaux, bien sûr, mais c’est déjà beaucoup si on y enseigne que chacun a un travail à faire pour se connaître, améliorer sa propre nature. Le premier chantier, c’est moi-même. Pour s’épanouir, il faut d’abord savoir qui l’on est, découvrir ses vraies aspirations. C’est à cette condition qu’un être peut s’accomplir. J’entends par accomplissement le fait de monter petit à petit, d’une façon graduelle, vers quelque chose de lumineux pour que le chemin devienne initiatique. Tout ce qui nous arrive de bon, de moins bon, de douloureux, entre en compte pour nous mener dans la bonne direction. Éduquer, c’est mettre l’enfant sur la voie de sa propre initiation, tout en lui apprenant, évidemment, ce qui est nécessaire à sa vie pratique de tous les jours. Lire, écrire, compter, comme je le disais, mais aussi réapprendre à travailler de ses mains. Aujourd’hui, les enfants vivent de plus en plus avec des écrans. Ils ne sont plus présents à la réalité dans laquelle ils évoluent et se contentent d’un monde virtuel. Leur esprit est barricadé dans une bulle conceptuelle dont ils restent prisonniers. Ils ont désappris à regarder, et ce cloisonnement leur donne un mode de pensée restrictif. Il ne s’agit pas de supprimer les ordinateurs, mais d’en comprendre la limite et le bon usage, car il faut aussi apprendre à produire soi-même des choses tangibles, partir de ce qui est tangible. Si j’enfonce un clou et que je me tape sur les doigts, j’apprends. Je ne suis plus dans un univers qui obéit à tous mes fantasmes, à tout mon imaginaire. Il comporte ses propres lois. Si je veux scier une planche bien droite, il faut que j’apprenne, sinon elle ne sera jamais droite.

(…)Le lieu d’apprentissage idéal, selon moi, ce serait un jardin, un atelier-mais sans machines, du moins au début- et l’école. Le monde conceptuel relié au monde tangible, lui-même relié à la vie, puisque tout cet apprentissage débouche naturellement sur le mystère de la vie.