Les héritiers ou comment remettre un jeune debout

UnknownÀ propos du film Les Héritiers réalisé par Marie-Castille Mention-Schaar, France 2014

Même si j’ai trouvé ce film extrêmement touchant et troublant de justesse, au point que certaines scènes me semblaient tout droit issues de la réalité et non d’une fiction, je ne m’aventurerai pas sur un terrain qui n’est pas le mien et ne me permettrai donc pas une critique cinématographique en bonne et due forme.

Mon propos visera plutôt à souligner les ingrédients qui ont fait de l’expérience relatée une magnifique victoire sur le décrochage scolaire et la violence, souvent plus exacerbés au sein des banlieues, là où de nombreux jeunes et moins jeunes n’arrivent pas à se faire reconnaître dans leurs potentialités originales ni à se rendre utiles à la société.

En les entraînant dans l’aventure du concours national, le professeur, incarné par Ariane Ascaride, a montré à ses élèves à quel point elle leur faisait confiance, à quel point elle savait qu’avec leurs forces singulières, ils étaient capables de relever un défi qui paraissait à leurs yeux insurmontable. Forces singulières s’il en est puisqu’après avoir constaté leur manque de compétences scolaires proprement-dites, elle les a amenés, non à se formater à la voie que l’école leur aurait tracée pour ce genre de démarche, mais à découvrir ce que leur vérité, leur authenticité leur suggérait.

Ce regard bienveillant et qualifiant leur a permis non seulement de développer la foi en eux-mêmes, mais aussi de s’ouvrir à leur créativité et d’inventer une approche toute nouvelle.

L’enseignante a compris également l’importance de ne pas accorder de notes aux élèves pour cette recherche. Lorsque l’on supprime la pression de l’évaluation, qui se base sur des critères extrêmement rigides et sclérosants, lorsqu’il peut sortir du cadre qui le limite à une infime partie de ses richesses personnelles, le jeune peut se laisser aller peu à peu à l’enthousiasme de la gageure, le plaisir inné de la découverte et le bonheur de la construction.

Ouverte à leurs propositions, le professeur accepte également de rester dans l’ombre, au service des jeunes. Elle devient alors une éveilleuse qui, non seulement aime se laisser surprendre par ses élèves mais bien plus les encourage dans leurs initiatives, sans hésiter toutefois à signaler leurs incohérences ni à les aider avec ses forces à elle.

Et bien sûr, le but de l’aventure est collectif et engage tous les élèves volontaires dans une collaboration inédite. Le cadre de vie acquiert alors de la souplesse : on bouge dans la classe, on rapproche les tables en petits groupes, puis en équipes plus importantes selon les nécessités. Peu à peu, les jeunes prennent conscience que leur force réside dans le respect mutuel et la synergie qui naît de leurs échanges. Amenés à œuvrer ensemble, ils finissent par se reconnaître mutuellement et à s’apprécier à leur juste valeur. Quel plaisir lorsque les cœurs vibrent enfin à l’unisson !

Pour que l’école devienne un rempart contre les intégrismes et les folies en tous genres, ne devrions-nous pas nous exercer, nous aussi, professeurs, éducateurs, animateurs et parents, à retenir les leçons de cette belle histoire ?

 

Réforme des cours de religion : il faut aller plus loin.

Dans l’émotion suscitée par l’incroyable sursaut citoyen qui s’est manifesté à Paris et dans de nombreuses villes du monde ce dimanche 11 janvier, les médias belges reviennent sur la nécessité de réformer les cours de religion en les ouvrant à la citoyenneté, la philosophie et aux différentes religions.

Au sein de l’école telle que nous la vivons aujourd’hui, il s’agit là bien sûr d’une heureuse initiative, déjà inscrite d’ailleurs dans le référentiel de l’enseignement catholique, et vécue depuis bien plus longtemps encore par nombre de ses professeurs de religion.

Mais ce n’est pas en apportant un cours théorique différent ou supplémentaire que nous inspirerons le respect à nos enfants et nos élèves. Pour vivre l’ouverture, il faut en faire l’expérience. Or tandis que les dogmes et les rites nous séparent, la spiritualité (laïque) nous réunit : chacun peut faire l’expérience en son for intérieur du mystère qui nous dépasse tous, athées comme croyants, de la profondeur du calme qui sous-tend nos tempêtes lorsque nous faisons silence, de l’appel qui nous pousse à évoluer sans cesse vers le meilleur de nous, vers la réalisation de ce que nous portons d’unique pour le mettre au service de la vie quelle qu’elle soit.

Dans mes classes, nous nous donnons à chaque cours un moment de silence, dans lequel j’invite les jeunes à observer leurs émotions et leurs pensées, sans les juger ni s’y attarder. Ensuite, nous faisons passer un bâton de parole afin que chacun puisse partager l’émotion qui l’habite sur le moment. Ces activités qui nous touchent profondément ont la faculté presque immédiate de rassembler tout le monde dans une même énergie. Mes élèves reconnaissent qu’elles leur font « un bien fou » et leur permettent d’accueillir même les personnes qu’ils rejetaient jusqu’alors. « Ce moment privilégié m’a fait découvrir, en moi, des profondeurs inconnues jusqu’alors. » (Guillaume)

« En écoutant, je me rends compte que chaque personne est unique. Au début, j’avais une image très superficielle, basique. (Jérémy)

« Je retiendrai toujours le respect qui régnait dans la classe lorsqu’on se confiait. Ça m’a permis de me sentir en confiance et acceptée dans mes décisions. » (Marie)

Lorsqu’ensemble, dans une classe, nous avons fait l’expérience de l’humanité vivante, lorsque nous nous sommes tous mis au diapason les uns avec les autres, il s’avère si simple alors d’expliquer, lorsque cela se présente, comment nous la mettons en pratique au quotidien, à la mosquée, la synagogue, l’église, le dojo ou encore dans nos promenades silencieuses en forêt.

Une fois de plus, il convient de ne pas se boucher les oreilles. Profitons de cette période bénie où une marée humaine se mobilise sincèrement et profondément dans une émotion partagée, non pas pour opérer quelques réformettes de plus, mais pour repenser l’école dans ses fondements-mêmes.