Enrayer le chômage en relançant… la créativité

Enrayer le chômage des jeunes en relançant … leur créativité !

Enrayer le chômage des jeunes en relançant l’économie… Nos politiciens et nos économistes seraient-ils à ce point naïfs pour croire à leurs démonstrations et formules ? Et nos journalistes pour les relayer ?

Ceux qui nous dirigent ont-ils donc tellement le nez sur le guidon qu’ils ne sont même plus capables de noter les changements irréversibles de notre société ?

Sans doute sont-ils à l’image de chacun d’entre nous, aveuglés que nous sommes par le confort de notre routine, par le confort de notre inconfort, par la peur aussi de l’inconnu, du nouveau. Aussi réglons-nous nos problèmes individuels ou sociétaux comme nous l’avons toujours fait. Tant pis si nous oscillons sans cesse entre deux maux extrêmes !

Qui croit encore qu’avec les technologies actuelles, qui se substituent à la main d’œuvre qualifiée ou non, nous pourrons un jour redonner du travail à tout le monde ?

Et pourtant, si l’on sort de l’idée du métier tel que nous le concevons aujourd’hui, des solutions existent, mais nous n’aurons accès à elles que dans une société qui accepte de se métamorphoser, d’envisager, par exemple, le travail autrement, à une place sans doute plus juste pour notre temps, ainsi que la nécessité de réinventer une nouvelle solidarité entre les personnes.

Lors de crises totalement bouleversantes, nous perdons nos points de repères et sommes précipités dans un univers totalement inconnu. Dans cet état, après un moment d’angoisse et de flottement, nous finissons par trouver des solutions inédites auxquelles nous n’aurions jamais pu penser auparavant et qui transforment notre existence. C’est parce qu’elles ont la faculté de nous propulser hors de notre formatage habituel qu’elles peuvent nous inspirer et donc, passé le moment de souffrance, se révéler éminemment précieuses.

Sans doute l’être humain a-t-il besoin d’être éveillé régulièrement pour évoluer au même rythme que la Vie, sans doute a-t-il besoin de crises  qui agissent sur lui comme le kyôsaku, le bâton d’éveil du maître zen ? Mais on peut toutefois imaginer qu’elles seraient moins nécessaires si nous évitions de casser chez nos enfants le lien avec leur fluidité et leur créativité naturelles, en évitant de les formater comme nous le faisons aujourd’hui à l’école. N’est-il pas lamentable de constater qu’arrivés à l’adolescence, la plupart d’entre eux ont perdu le sens de l’initiative, l’imagination créative, accrochés qu’ils sont – dans leur rébellion, comme dans leur statut d’élève modèle – à la sacro-sainte parole du professeur ?

Faire le choix de les garder « vivant », souples et créatifs, c’est accepter d’être bousculés dans nos certitudes de parents, de professeurs, d’animateurs pour nous laisser interpeller par les richesses individuelles que porte chacun d’eux et les accompagner en toute humilité pour qu’ils mènent à bien leur éclosion au service de tous.

Ce n’est qu’en leur donnant la possibilité de cultiver au quotidien la capacité de s’adapter, d’inventer sans cesse le nouveau que nous leur permettrons de surmonter chaque crise engendrée par la grande crise que nous traversons aujourd’hui et qui risque d’être plus criante encore à moyen terme.

Dans ce cas, l’école a-t-elle encore un avenir ? La question se pose vraiment, surtout si l’on observe un statuquo dans nos méthodes.

Par contre, si elle devient le lieu de l’éclosion des potentiels singuliers, si elle permet à chacun d’expérimenter la richesse des synergies, la force qui émane d’un groupe organisé autour d’un projet commun, peut-être alors pourra-t-elle devenir un terreau de solutions pour notre humanité.

Concrètement aujourd’hui, il me semble qu’il faudrait absolument faire exploser les frontières entre les cours pour les inscrire dans un vécu plus global. Dans ce contexte, donner aux jeunes les moyens logistiques de réaliser des projets communs dans lesquels chacun verrait son potentiel propre et son expérience particulière valorisés. Ne pas craindre d’être emmenés dans des aventures qui dépassent les professeurs eux-mêmes, ce qui leur permettrait de grandir également. Ne pas avoir peur de l’échec qui s’avère aussi formateur que la réussite.

Dans ce cas, on pourrait imaginer que nos jeunes, devenus adultes, se révéleraient aptes à rebondir dans n’importe quel contexte insécurisant, parce qu’ils y retrouveraient autant de déclinaisons de l’aventure initiée à l’école. Plutôt que se morfondre en attendant que les solutions viennent du dehors, ils chercheraient des comparses avec lesquels ils associeraient leurs richesses et leurs différences pour construire de nouveaux projets plus adaptés aux besoins de notre société. Il est fort probable alors qu’ils inventeraient d’autres métiers, d’autres services, et qu’ils prendraient ainsi leur juste place dans le monde.

Une école qui stimule l’envie d’apprendre ?

Si l’on voulait sincèrement que l’école soit un lieu qui stimule le désir d’apprendre, il faudrait logiquement s’interroger :«qu’est-ce qui donne envie d’apprendre ? »

Tant de jeunes, en effet, se rendent à l’école en traînant les pieds, ce qui anéantit tout effort du professeur avant même qu’il entre dans sa classe.

Quand j’observe mes petits enfants ainsi que mes élèves, je remarque qu’ils sont mus par deux moteurs : un moteur interne qu’il convient de protéger, la soif innée de la connaissance et du dépassement de soi. Tout enfant s’anime de plaisir lorsqu’il peut effectuer un progrès, même et peut-être surtout, lorsqu’il se met en jeu, lorsqu’il se lance un défi.

Mais ce moteur s’encrasse rapidement, voire se bloque totalement, à cause du mécanisme même du système scolaire, représenté par les notes et le bulletin. Quand la société, vos professeurs l’ont décidé, il faut que vous compreniez cette matière et que vous l’intégriez, quel que soit votre rythme personnel, sous peine de passer pour un mauvais élève. Évaluer un apprentissage par des points va nécessairement de pair avec la possibilité d’une disqualification. À moins que vous n’obteniez 20/20 ou, après bien des découragements, 10/20, ce qui vous amène à cesser de vouloir progresser. Dans les deux cas, celui de la réussite comme celui de l’échec, l’envie d’évoluer sans cesse se tarit puisqu’elle se heurte
à un plafond, inatteignable pour les uns, atteint pour les autres. « Puisque j’ai ma moitié, pourquoi je ferais encore des efforts ? » diront ceux qui « ont réussi ». Il faut alors beaucoup de doigté pour persuader les adolescents que leur vie ne sera extraordinaire que s’ils vivent leur ordinaire de façon extraordinaire.

Les élèves traînent les pieds parce qu’  « on leur met la pression », comme ils disent. L’école est un boulet que l’on traîne ou une boule dans le ventre. On a peur de la prochaine interrogation, on est fâché, triste ou joyeux des points que l’on a reçus, mais quand est-on véritablement heureux d’avoir appris quelque chose de nouveau ?

Personnellement, puisque je fais partie d’une école qui s’organise comme telle, j’ai l’obligation de remettre régulièrement des notes à mes élèves. J’ai quand même pu prendre quelque peu mes distances avec le système ambiant, en réalisant un compromis : mes élèves savent que s’ils me rendent leurs rapports d’activités à temps, ils auront toujours la moitié des points. Ce qui les stimule davantage, c’est également l’auto évaluation que je leur demande à chaque travail rendu, avec une question sous-jacente : « penses-tu que tu as réalisé cette recherche à la hauteur de ta dignité ? ». Vu que les dés sont un peu pipés, puisque leur réussite dépend de leur bulletin, rares sont ceux qui s’attribuent un échec, les points variant le plus souvent entre 5 et 10/10. Mais je constate déjà que la simple question de départ les encourage à se donner à fond dans l’exercice, voire à y mettre un « petit plus » personnalisé. Je suis, la plupart du temps, fort émue de leur implication dans le travail.

Les jeunes étant rassurés sur leur réussite, ils s’investissent pour le plaisir dans les différentes activités. Selon leurs propres paroles, ils viennent prendre un bol d’air, se libérer de la pression engendrée par les autres cours. L’ambiance est à la détente, ce qui favorise une saine réflexion et un apprentissage bien plus performant parce qu’il s’imprime dans les tripes.

Il existe également un moteur externe qui stimule l’envie d’apprendre, une nourriture essentielle pour l’être humain : l’affection, manifestée par la bienveillance, la reconnaissance et l’encouragement.

En effet, un humain n’est pas une île solitaire, il se construit sous le regard des autres. Qu’on le veuille ou non, l’enfant va bien sûr évoluer tiré par son moteur interne, par le seul plaisir personnel de se dépasser, mais il aura néanmoins besoin régulièrement des encouragements de son entourage. Pour cela, il est important qu’il se sente aimé quelles que soient ses performances mais surtout reconnu dans ses forces parfois plus subtiles, parfois moins visibles. À ce stade de mes observations, je ne peux pas être d’accord avec les pédagogues qui invitent à ne pas féliciter un jeune. Ils ont raison bien sûr d’inciter à la vigilance afin que l’enfant se crée une colonne vertébrale intérieure solide et autonome. Mais je pense qu’il est possible de prodiguer des félicitations en apprenant à discerner ce que l’on encourage et comment on le fait. Il ne s’agit pas de surestimer l’enfant ni de l’illusionner sur ses capacités, mais de souligner régulièrement ce qui va bien chez lui. À ce propos, Denis Marquet écrit « Il convient de distinguer le juste émerveillement face à la réalité de son enfant de l’admiration béate de certains parents en extase devant leurs propres projections. (…) On substitue une image à la réalité de son enfant dès que l’on projette sur lui un idéal. Le critère de discernement est ici : je m’émerveille de mon enfant parce qu’il est lui ; je m’extasie faussement lorsque je le compare à une idée. »(1)

Je crois, dans ce cadre, à la force du compliment sincère. Ces attentions aux progrès, compliments répétés en toute simplicité et sans emphase, vont peu à peu donner au jeune une perception plus fine de son potentiel. C’est à partir de ce qui est en « bonne santé » chez lui qu’il pourra puiser la confiance qui manque tant à nos jeunes aujourd’hui et se confronter plus facilement à ses limites pour les repousser petit à petit.

Personnellement, dans la toute grande majorité des cas, je souligne les forces que j’ai pu observer chez mes élèves même si celles-ci ne sont pas toujours « scolaires », visibles dans les travaux écrits. Dernièrement, par exemple, j’ai félicité un jeune pour la capacité qu’il avait de mener de front sa présence à l’école et un entraînement sportif de haut niveau. Un autre a été complimenté sur sa bonne humeur et son dynamisme contagieux, etc. Lorsque le jeune se posera des questions à propos de son avenir, il faudra qu’il ait une perception assez claire de son potentiel. C’est celui-là que nous encourageons sans le savoir chaque fois que nous le félicitons.

En résumé, j’observe aujourd’hui qu’en tant qu’éveilleurs, nous pouvons nous appuyer sur le moteur interne du jeune, qu’il s’agit de protéger et de nourrir en lui donnant la possibilité de se mettre en jeu sans ajouter de pression extérieure. L’autre moteur sera notre regard, notre attitude bienveillante qui saura accompagner et encourager plutôt que sanctionner.

(1) Denis Marquet, Nos enfants sont des merveilles, Les clés du bonheur d’éduquer, Nil, 2012